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Tout ce que vous n'avez jamais voulu savoir sur le sexe | | | Jacques Waynberg Jouir, c'est aimer Milan - Débats d'idées 2004 / 15 € - 98.25 ffr. / 261 pages ISBN : 2-7459-1109-0 FORMAT : 14x21 cm
L'auteur du compte rendu: titulaire dune maîtrise de Psychologie Sociale (Paris X-Nanterre), Mathilde Rembert est conseillère dOrientation-Psychologue de lEducation Nationale. Imprimer
Autant le dire tout de suite : non, jouir nest pas aimer. De par labrogation de la conscience quil induit, lorgasme sépare les amants quil est censé réunir. Le sexologue Jacques Waynberg na pas écrit ces deux cent pages pour sextasier sur la merveilleuse magie du plaisir et de lamour. Ce nest pas à une vision - naïvement ? - joyeuse de la sexualité quil nous convie. Le lecteur attiré par laspect positif du titre de cet ouvrage ou par la jolie estampe japonaise qui en orne la couverture passera son chemin. Waynberg traite en effet de la laideur et de la dégradation des corps, du dégoût envers les activités sexuelles, de leur animalité fondamentale, de lobscénité enfin. Mais de lamour aussi, tout de même, qui rend supportable la tension entre le corps et lesprit dans la sexualité. Voilà pour le fond. La forme, elle, nest pas moins aride. Adepte des jeux de mots psychanalytiques («âmants», «dé-jouir», «inter-dit»), Waynberg écrit dans un style virtuose et érudit (il convoque Lacan et Winnicott, Saint Augustin et Sartre, Montherlant et Colette), parsemé dellipses et dallusions. Comprenne qui pourra ! Débutants sabstenir.
Lauteur insiste sur la troublante parenté entre lhumain et lanimal. La pulsion de procréation nous rapproche en effet des bêtes. Mais nous avons créé la faute dune part, le dégoût de lautre, doù une certaine duplicité de la morale qui est tantôt celle des bonnes murs, tantôt celle du bon goût. La vie sexuelle est socialement divisée en deux états, létat sauvage et létat de grâce, chacun dentre nous essayant, à léchelle individuelle, de mêler les deux de façon harmonieuse. Jouir se trouve à lintersection entre limpureté et lidéalisation. Ce qui permet à cette situation paradoxale de tenir, cest la fonction érotique, entre hédonisme et éthique. Limaginaire en est le haut lieu. Au centre de la sexualité sévit un jeu entre le dedans et le dehors du corps, entre lenvie de pénétrer et lenvie dêtre pénétré. La souffrance physique est un mal nécessaire pour dépasser ses propre limites. Le surgissement de lorgasme demande que la charge des stimuli sexuellement excitants atteigne un seuil critique sensoriel et/ou fantasmatique. Cela demande un apprentissage.
Quen est-il alors de labsence de jouissance ? Waynberg la conçoit comme une «dyslexie» dans la langue sexuelle. La sexualité sapparente à un alphabet dont il faudrait apprendre la lecture, les échecs au cours de cet apprentissage pouvant entraîner des conséquences néfastes. Par la suite, le corps ne peut tout réapprendre, doù une difficulté de souvrir sur le tard à de nouvelles pratiques sexuelles, dautant plus que lhorizon des possibles est fermé par les contraintes sociales. En effet, une vision dualiste de la sexualité perdure dans les discours communs : il y aurait ceux qui la font bien, les purs, et ceux qui la font mal, les corrompus. A la croisée du discours psychiatrique et du droit pénal, le «pervers» sert de bouc émissaire.
Lauteur sattarde sur le «mystère» de lorgasme féminin. Si, du point de vue de lespèce, donc de la procréation, lorgasme masculin est justifié, celui de la femme, lui, ne sert à rien ce nest pas en jouissant quelle tombe enceinte. De plus, contrairement à un homme, une femme peut simuler un orgasme, voire faire en sorte de ne pas en avoir. Waynberg attribue les difficultés que connaissent certaines femmes dans laccès au plaisir à une survalorisation du coït par rapport à dautres pratiques sexuelles. On encourage les jeunes femmes à attendre des hommes la découverte du plaisir. Illusion, répond le sexologue : les zones érotiques doivent être éveillées dans un premier temps par le biais de lautoérotisme. Une trop forte idéalisation de lamour lempêcherait.
Dans ce chapitre, Waynberg revient sur la controverse qui eut lieu autour du «point G», dont les effets se font encore sentir dans les discours actuels. Dans les années 50, le gynécologue Gräfenberg déclara avoir localisé une zone érogène de quelques centimètres dans la paroi antérieure du vagin. Remise au goût du jour dans les années 80, suite aux mouvements féministes de la décennie précédente qui avaient insisté sur lindépendance des femmes par rapport aux hommes quant au plaisir sexuel, cette découverte permit de remettre la libido féminine dans le droit chemin de la phallocratie, la stimulation du «point G» nécessitant le coït
Le principe de lunicité de lorgasme fut remis en cause : il y aurait plusieurs types dorgasmes féminins, hiérarchisés, lorgasme vaginal témoignant de la maturité féminine en opposition à un orgasme clitoridien jugé «immature».
Et notre auteur de sétonner : «Comment expliquer que des considérations dordre social et culturel fassent irruption dans le champ de la physiologie ?». Parce que les recherches en biologie, nous explique-t-il, ne parviennent pas à expliquer lorgasme féminin. On se permet donc de dire tout et nimporte quoi
Une autre réponse pourrait pourtant être proposée à linterrogation de lauteur. Protester contre linfiltration de la science par lidéologie a quelque chose de naïf. Cela présuppose que la science est objective. Que les objets de recherche et les moyens dinvestigation considérés comme valables à un moment donné de lévolution historique dune science ne dépendent pas aussi de lidéologie en cours
Comme le démontrent les historiens des sciences. Le discours scientifique nest-il pas, à certains égards, un discours social comme un autre ?
Mathilde Rembert ( Mis en ligne le 23/04/2004 ) Imprimer
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