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Un entretien avec Sébastien Lapaque | | | Un entretien avec Sébastien Lapaque - auteur de Bernanos encore une fois
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Parutions.com : A quelle occasion, par quel hasard, avez vous la première fois entendu la voix de Bernanos ?
Sébastien Lapaque : Jai découvert par hasard La Liberté pourquoi faire ?, le dernier livre de Bernanos. Puis ce fut Les Grands Cimetières sous la lune, cest à dire le Bernanos « de gauche », antifasciste. Jai alors remonté le fil de luvre bernanosienne à lenvers, jusquau Bernanos nationaliste, ce qui sans doute ma aidé a mieux comprendre la cohérence de lensemble. De voir des gens considérer quil y a un vrai Bernanos de droite, catholique, et un traître, le Bernanos démocrate, ma décidé à écrire ce livre.
Parutions.com : A quelle génération appartient Bernanos ?
Sébastien Lapaque : La génération de Bernanos a été formée au carrefour de trois influences : chrétienne, monarchiste et social-syndicaliste, à savoir : Maurras, Péguy, Proudhon. La partie maurrassienne a été assez tôt élaguée, dès 1912 (après linfructueuse tentative de restauration monarchiste au Portugal). Le péguysme, cest-à-dire le catholicisme mystique, il y croit jusquau bout. Quand au social-syndicalisme proudhonien de sa jeunesse, Bernanos y restera toujours fidèle. On le retrouve dans son mode de vie en Amérique latine, lorsquil fonde un phalanstère dinspiration chrétienne.
Parutions.com : Un portrait rapide de Georges Bernanos se résumerait à : cest un monarchiste catholique et un anticapitaliste. On nest plus habitué à la conjonction de ces deux principes
Sébastien Lapaque : Après 1917, la pensée léniniste a réussi à imposer lidée que lanticapitalisme était de gauche. En réalité, Bernanos a incarné une vieille tradition anticapitaliste chrétienne empruntant à saint Thomas dAquin, Bossuet comme Bourdaloue (cf. Malheur aux riches, anthologie présentée par Sébastien Lapaque, J'ai Lu), et qui est bien antérieure à celle des antimondialistes actuels. Mais attention, Bernanos refuse non pas le capital, mais le fruit usuraire du capital.
Parutions.com : Pour aller plus loin dans cette direction, Je voudrais que vous nous parliez de "lesprit denfance", ce mot dordre de Bernanos. Aujourdhui, le mot "jeunesse" et son appendice "jeune" (bref, le jeunisme), sont omniprésents. Quelle est la différence ?
Sébastien Lapaque : Jai souvent réfléchi à ce point. Je pense que Bernanos aime vraiment lenfance, qui est presque une pureté, et sans doute une référence au baptême. Or, ce dont on parle aujourdhui ce sont les adolescents, cest-à-dire à la fois une caricature dadulte et une caricature denfant. En fait, lesprit denfance, cest la pureté, la quête de lorigine, par opposition au jeunisme qui est une synthèse de lirresponsabilité de lenfant et de la violence de ladulte.
Parutions.com : Dans le petit monde littéraire, on trouve généralement Bernanos suranné et un brin vulgaire. Pouvez-vous rappeler la réception de Bernanos de son vivant ?
Sébastien Lapaque : Bernanos était en général très apprécié des écrivains de son temps même de ceux avec lesquels il avait de violentes polémiques, comme Mauriac et Claudel. Quand à son style
Il y a deux sortes décrivains : ceux du style, de lécriture, et ceux de la voix. Bernanos, cest une voix ! Dans les années 30 françaises, il y a une école de la « ligne claire », comme Chardonne, Giraudoux, Morand. Bernanos, cest tout le contraire, puisquil est de la manière noire, comme Simenon, Céline, Giono
ce qui les a dailleurs souvent fait accuser de vulgarité.
Parutions.com : Un point incontournable : lantisémitisme de Bernanos.
Sébastien Lapaque : Cet antisémitisme correspond à lanti-judaïsme chrétien, totalement théologique et absolument pas racial. Ce nest dailleurs pas un élément central ou obsessionnel chez Bernanos. Et, à partir du milieu des années 30, Bernanos en comprend lambiguïté meurtrière, avant de le condamner. Ainsi à propos de Bagatelle pour un massacre (1938), il écrira : "Cette fois-ci Céline sest trompé durinoir."
Parutions.com : Aujourdhui la France de Saint Louis, de Jean-Marie Vianney et de Jeanne dArc cest à dire lunivers de Bernanos sonne disons, désuète. Alors, quel intérêt a-t-on à le lire ?
Sébastien Lapaque : Je me suis rendu compte que les gens qui mont parlé avec le plus denthousiasme de mon livre sont précisément ceux qui sont les plus éloignés de cet univers. On retrouve chez Bernanos un formidable sens de la liberté, de lintransigeance, et une fascinante puissance darrachement aux préjugés de son milieu. Dénoncer les injustices des siens ce qua fait Bernanos est autrement plus difficile que critiquer celle des autres. Autre point essentiel, son refus de la réciprocité, un peu sur le mode de la lecture de lEvangile par René Girard (Celui par qui le scandale arrive), est exceptionnel dans le contexte de la Guerre dEspagne : les exactions des communistes ne justifient pas celles des franquistes, tel fut le message de Bernanos. Je pense que tout cela est très moderne, et ses références lointaines nempêchent pas aujourdhui la réception de ses idées.
Parutions.com : Vous avez suivi les traces de Bernanos en Amérique Latine, en quête de sa "France idéale". Cet exil volontaire la-t-il conforté, ou rendu plus encore décalé ?
Sébastien Lapaque : Cet exil la beaucoup changé, lui a fait prendre toujours plus de distance par rapport aux droites françaises. Il a compris, lui, le monarchiste, quil y avait de grandes pages impériales et républicaines françaises. Au Brésil, il sest rendu compte que la France était à la fois fille aînée de lEglise et héritière de 1789, il a compris toutes les dimensions de la France en en étant physiquement éloigné. Bernanos a compris la France dans les yeux des Brésiliens.
Propos recueillis par Vianney Delourme ( Mis en ligne le 21/05/2002 ) Imprimer
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