L'actualité du livre Jeudi 28 mars 2024
  
 
     
Le Livre
Philosophie  ->  

Notre équipe
Littérature
Essais & documents
Histoire & Sciences sociales
Beaux arts / Beaux livres
Bande dessinée
Jeunesse
Art de vivre
Poches
Sciences, écologie & Médecine
Rayon gay & lesbien
Pour vous abonner au Bulletin de Parutions.com inscrivez votre E-mail
Rechercher un auteur
A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z
Philosophie  
 

Le philosophe et la mort
Bertrand Vergely   La Mort interdite
Lattès - Philosophes dans la cité 2001 /  18 € - 117.9 ffr. / 303 pages
ISBN : 2-7096-2212-2
Imprimer

Au fil d’une méditation renouvelée et, pourrions-nous dire, régénérée, au sujet de la mort - véritable figure imposée de toute la réflexion philosophique - Bertrand Vergely s’adonne à un exercice de relecture des grandes pensées philosophiques (Montaigne, Epicure, Pascal jusqu’à Heidegger Lévinas, Jankélévitch) et plus ponctuellement de mise en perspective des philosophes d’aujourd’hui ( A. Comte-Sponville, M. Onfray) au travers d‘une confrontation à l’événement brut de la mort contemporaine, dépouillée de sens, à l’image de la vie qui en reflète les contours : « une mort spirituelle » qui ne se voit pas.

Dès l’abord, la narration d’une disparition absurde s’offre comme une sorte de sursaut de conscience dont l’auteur approfondira et exploitera les ressources de sens. Le récit de l’enterrement de Bruno, jeune homme de trente-trois ans, mort par overdose, initie un cheminement de pensée au sein duquel l’indignation – « le cri » - tout d’abord ressentie face à la mort indicible et injustifiable, trouvera à s’étayer et à s’argumenter sous la forme d’un questionnement vivant autour des rapports contradictoires et dialectiques entre la vie et la mort.

Peu à peu, on comprend que face à cette mort qui n’est plus rien et cette vie qui est tout, une relation dialectique vient à se nouer où, par un jeu d’inversion conceptuelle continuée, la mort, tour à tour, contamine la vie sous la forme d’un principe d’appauvrissement du sens ou de morbidité (passion triste, instinct morbide, passion, divertissement) ou au contraire la rehausse au rang de vie pleinement vivante, de grand vivant, à la faveur d’une mortalité -« la légèreté de ce qui passe » - recomposée autour d’une finitude « transfigurée » en relation à l’Etre.

Bien entendu, pour ne pas souffrir la contradiction, un tel dépassement s’opère au prix d’une première distinction cardinale, opposant un rapport à la mort, et donc à la vie, exclusivement biologique, sans conscience - et donc dénué de toute signification morale, « banal » - à un autre rapport, spirituel, puissant, authentique, vivant et réfléchi. Autrement dit, derrière l’unicité d’un terme – « la mort » - transparaît d’abord une ambivalence philosophique et morale distinguant le bon du mauvais rapport à la mort.

Dans cette voie, l’auteur dégage une multiplicité de nuances conceptuelles qui, entre autres, s’emploieront à confondre les tentatives philosophiques hédonistes (matérialistes, libertines…) fustigées comme autant de traductions-trahisons de la véritable représentation de la mort, fondamentale pour la connaissance et l’édification de soi-même. Mais, pour autant, il ne se complaît pas à défendre inconditionnellement la thèse spiritualiste, dont il indique aussi les chausse-trappes et déjoue les dérives dogmatiques ou superstitieuses : « Que nous soyons privés de mystère, nous ne sommes point au sens fort du terme. Que nous ne soyons qu’un mystère, nous ne sommes point non plus. ».

Ainsi, à la thèse matérialiste épicurienne qui soutient que la mort n’est rien, dont il ne cesse d’examiner les titres de prétention, B. Vergely confronte la prégnance culturelle et religieuse des récits de l’au-delà dont la constance ne peut être gratuite (par exemple, le récit de saint Josaphat dans la Légende dorée de Jacques de Voragine p.121), pour y voir des témoignages, non certes scientifiquement instruits, mais précisément vécus, dans et pour la vie. «La question qu’il convient de se poser est celle de savoir si l’on peut se concevoir sans un rapport à l’au-delà ainsi qu’à l’éternité. N’est-ce pas se tromper de vie que de prétendre s’en passer. »

En ce sens, c’est bel et bien un monde invisible vers lequel l’auteur se tourne, religieux et sacré de par sa signification profonde plus que par ses manifestations extérieures et le masque de son rituel, et métaphysique par l’éternité et le symbolisme qu’il porte en lui. « L’homme est vraiment homme quand il devient l’image visible du monde invisible des significations. ». Reprenant le mot de Malraux sur le monde occidental, première civilisation à avoir perdu le sens de la religion et du sacré, il dénoncera, d’ailleurs vers la fin de l’ouvrage, la relation narcissique de l’homme replié sur lui-même.

Pour ce faire, B. Vergely, se tournant par exemple vers Heidegger, réhabilite la notion d’existence, qui permet comme véritable relation à l’être, de penser l’impensable, en tenant ensemble le corps, vivant et informé, et l’âme présentée comme souffle véritable de la vie et langage de l’être. Ainsi, la vie véritable est énergie spirituelle au sens introduit par Bergson et possède donc une fécondité propre qui passe par l’indifférence à la conservation de soi pour devenir pure générosité (le don chez M. Mauss), fini accueillant en lui - et de manière jubilatoire - l’infini, unique ressort de la différenciation et de la production du sens. Par-là, la vie change de régime pour enfanter dans le présent même, perpétuellement changeant, l’éternité paradoxale qui est en elle et qui, au lieu de faire « l’économie de la vie… passe par la vie ».

Il en résulte une redécouverte spécifiquement moderne du sentiment spirituel et religieux, détourné des vaines démonstrations de l’ « homme extérieur » pour s’orienter vers « …l’éternité vivante dans le temps et non hors de lui », foi inattendue dans l’inachevé charrié par le cours de l’existence dont le déroulement même s’identifie à une attente. En découle une éthique philosophique de la limite qui, des stoïciens jusqu’à Kant et Heidegger en passant par l’enseignement des Pères de l’Eglise, construit une économie du rapport de l’homme à Dieu et du fini à l’infini où la coupure logique ouvre malgré tout sur une sorte de parenté secrète. Ainsi, la mort qui coïncide avec le temps de la vie et qui se fond en lui sous la forme du dépassement adoucit le rapport à la mort-rupture de la fin de vie qui lui succède brutalement et en même temps nourrit le sentiment d’indignation ressenti face à elle.

A cela s’opposent les discours de la démesure, où, par usurpation, l’une des parties s’absolutise et nie entièrement l’autre. Ainsi, à la vie du corps qui perdure après la mort dans un au-delà, répond la mort propre à l’âme désincarnée (le fantôme) qui à rebours habite la vie spécifiquement humaine. Par leur part de vérité respective, ces représentations se traduisent dans les discours réels mais chacune d’elles échoue dès qu’il s’agit de pendre la mort au sérieux, c’est-à-dire refuser également sa négation (prédominance de la vie du corps) et sa justification (prédominance de la vie de l’esprit). En effet, l’acte de penser sa mort ou la mort d’autrui à travers le deuil, n’est convenablement assumé ni par la réduction au néant (Epicure) ni par l’intégration dans un grand Tout (les stoïciens). Les tentatives humanistes ne parviennent donc pas à dire l’expérience de la mort, c’est-à-dire à la nommer et donc à lui donner du sens en elle-même, sans avoir recours d’une manière ou d’une autre à la dimension religieuse de l’existence humaine et à la transcendance divine. Cette dernière constitue un ressort qui permet à l’homme de coïncider avec lui-même, de se relier (religare) en échappant à la vacuité abrupte de la mort. Ainsi, comme dans l’approche psychanalytique, le rapport à la mort n’est pas occulté mais plutôt régulé et correctement vectorisé afin de faire la part des choses en cantonnant les pulsions de mort. Plus généralement, la religion possède « un pouvoir de rationalité » que paradoxalement, la raison livrée à elle-même détruit.

Enfin, et sur fond de débat sur la post-modernité, F. Vergely clôt son parcours de pensée par un questionnement actuel autour de la pertinence d’une éthique philosophique du rapport à la mort : «Qu’ont-ils (les philosophes) à apporter comme réponses concrètes et vivantes aux questions que l’humanité se pose ? » ou plus loin « Ne feraient-ils pas mieux de se taire en ayant l’humilité d’admettre que la vie et la mort ne sont pas des questions philosophiques, mais des questions universelles échappant à leurs compétences et au sujet desquelles ils n’ont aucune qualification spécifique… ». Or, ce n’est pas la philosophie en général qui est ici en cause mais plutôt l’approche idéaliste, par trop abstraite qui, à trop vouloir connaître l’homme, finit par s’en dissocier complètement en ignorant sa nature propre d’être réel et souffrant, dont la vie possède une signification sous la forme de l’existence, plus qu’un sens intelligible. La primauté de la vie ouvre donc la voie vers une « …autre philosophie » qui pour penser le semblable - la vie - doit être semblable, « une philosophie dans laquelle la pratique est la théorie même ; et la vie, le sens même ».


David Smadja
( Mis en ligne le 12/04/2002 )
Imprimer
 
SOMMAIRE  /  ARCHIVES  /  PLAN DU SITE  /  NOUS ÉCRIRE  

 
  Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
Site réalisé en 2001 par Afiny
 
livre dvd