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Passages benjaminiens
Walter Benjamin   Ecrits français
Gallimard - Folio essais 2003 /  7.70 € - 50.44 ffr. / 499 pages
ISBN :  2-07-042694-7
FORMAT : 11 x 18 cm

L'auteur du compte-rendu : chercheur au Centre d'Histoire de l'Europe du Vingtième Siècle (Sciences-Po, Paris), spécialiste de Walter Benjamin, Nathalie Raoux s'intéresse plus largement à l'histoire des intellectuels français et allemands au XXe siècle. Elle vient de traduire Allemands en exil. Paris 1933-1941 (Autrement, 2003).

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«Rien n’est plus malaisé que d’écrire un livre de plus sur un auteur à la mode, et dont la mode dure», constatait Gérard Raulet dans l’introduction de son remarquable ouvrage Le caractère destructeur. Esthétique, théologie et politique chez Walter Benjamin (Aubier, 1997), avant d’ajouter, non sans raison, que Walter Benjamin, était aussi abondamment cité que rarement lu.

Il ne se passe guère, en effet, une semaine, sans qu’ici ou là, soit reprise une phrase d’un Benjamin à qui la fama vint, certes, bien tard mais qui fait désormais figure d’auteur culte. Que l’on pense à sa célèbre formule, «tout document de culture est aussi un document de barbarie», véritable fer de lance de ses thèses Sur le concept d’histoire, élevée, non sans ironie, au rang de slogan de notre post-modernité…

De cette lecture à l’emporte-pièce, Benjamin, certes, n’est guère innocent : son style lapidaire, sa pensée apodictique semblent autoriser, par avance, un tel traitement. Signalons d’ailleurs que la tâche du lecteur français, non germanophone, qui souhaiterait prendre Benjamin au pied du texte et du système, n’est guère aisée. En l’absence d’une édition complète et raisonnée de son œuvre, à l’instar de celles, établies sur la base des Gesammelte Schriften allemands, dont disposent les lecteurs italiens, ou dans une moindre mesure, anglophones, il lui faudrait engager, tel le collectionneur cher à Benjamin, un véritable combat contre la dispersion et ne pas craindre de se perdre dans les dédales d’une œuvre qui, loin d’être traduite en France dans son intégralité, y est écartelée entre de nombreux éditeurs – les multiples reprises des essais les plus célèbres de Benjamin, ajoutant, bien évidemment, à la confusion et à la canonisation de sempiternels leitmotive benjaminiens… Autant d’éléments, parmi bien d’autres, qui concourent à dissimuler à l’honnête homme, l’implacable cohérence d’une œuvre qui se présente, certes, sous des atours kaléidoscopiques.

Aussi ne peut-on que se féliciter de voir paraître aujourd’hui, chez Gallimard et dans la collection «Folio» une réédition des Ecrits français de Walter Benjamin (parus originellement dans la «Bibliothèque des Idées», en 1991). Ils forment, en effet, un heureux complément aux trois volumes d’Œuvres publiés par la même maison en 2000 et qui donnaient déjà à lire un large panorama d’essais benjaminiens, où se répondaient textes célebrissimes et méconnus, articles, recensions et essais, présentés dans un ordre strictement chronologique – le seul à même, sans doute, de rendre compte des inflexions et des permanences de la pensée benjaminienne – et encadrés par une éclairante préface du regretté Rainer Rochlitz et un index précieux.

Les Ecrits français, quant à eux, rassemblent treize articles et essais, d’importance inégale, dont le seul point commun, en apparence, est d’avoir été rédigés ou traduits en français du vivant de Benjamin. Le lien pourrait sembler ténu, pour ne pas dire purement accidentel. Il n’empêche que, pris ensemble, ces textes dessinent, en filigrane, un portrait émouvant de la triste condition d’un intellectuel allemand exilé en France – un portrait placé d’emblée, comme il se doit, sous le signe du regard que l’exilé jette, en guise de prophylaxie, sur un passé dont il doit se vacciner (Enfance berlinoise vers 1900).

Viennent ensuite les rares articles que Benjamin réussit à publier dans des revues françaises durant son exil dans la «ville-livre» : «Haschich à Marseille» paru dans les Cahiers du Sud en 1935 mais aussi «Peintures chinoises à la Bibliothèque Nationale» et «Allemands de 89», donnés à Europe, en 1938 et 1939, et enfin la lettre au sujet du Regard de Georges Salles qu’Adrienne Monnier passa dans sa Gazette en 1940. Pour être tout à fait complet, il aurait fallu ajouter l’essai «L’angoisse mythique chez Goethe» paru en 1936 dans les Cahiers du Sud et signaler que Benjamin dut, peu ou prou, quatre de ses cinq publications françaises à Marcel Brion, inlassable passeur de son œuvre et qui, après avoir œuvré à sa publication dans les Cahiers du Sud, le présenta à Jean Cassou, rédacteur en chef d’Europe : les publications benjaminiennes dans des revues françaises se comptent ad litteram sur les doigts d’une main.

Sur ce maigre tableau de chasse, et ses raisons, l’essai sur «Bachofen», que la Nrf rejeta sans ménagements, mettant du même coup l’éteignoir sur les ambitions françaises de Benjamin, jette une éclairante et cruelle lumière : le traducteur de Proust que fut Benjamin eut quelque peine à trouver, de son aveu même, une «expression immédiatement française» – et littérairement pertinente – de ses pensées. Pour Benjamin, comme pour bon nombre de ses compagnons d’infortune exilés, le salut littéraire vint de la société allemande des gens de lettres exilés et des revues et maisons d’édition que celle-ci mit en place. Et, dans le cas de Benjamin, plus précisément, de l’Institut de recherches sociales – que nous connaissons mieux, en France, sous le nom d’«Ecole de Francfort» - auquel il collabora de façon régulière à partir de 1935.

Sa première livraison pour l’Institut ne fut autre que son essai sur «L’oeuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique» auquel répond le texte sur «Le narrateur», lui aussi repris dans ce volume (texte qui aurait du paraître dans Europe, puis dans Esprit). On ne saurait trop conseiller de lire ces deux textes en miroir et de les confronter à ses «Notes» sur Baudelaire ainsi qu’à ses fameuses «Thèses sur le concept d’histoire». Tous ces essais ne sont, en effet, que des prolégomènes ou des paralipomènes à son grand oeuvre, Paris, capitale du XIXe siècle, dont «l’Exposé», rédigé en 1935, à l’intention de l’Institut de recherches sociales, est également présenté. Ainsi peut-être prendra forme le projet benjaminien : écrire une histoire culturelle de la Modernité, et ce, moins à des fins d’érudition qu’à des fins politiques…


Nathalie Raoux
( Mis en ligne le 17/09/2003 )
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