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Philosophie  
 

Trace d’un grand professeur de Sorbonne
Ferdinand Alquié   Leçons sur Kant - La morale de Kant
La Table Ronde - La petite vermillon 2005 /  10 € - 65.5 ffr. / 286 pages
ISBN : 2-7103-2758-9
FORMAT : 11x18 cm

Voir aussi : Ferdinand Alquié, Leçons sur Descartes, La Table Ronde (Le petit vermillon), mars 2005, 286p., 10 €, 11x18 cm, ISBN : 2-7103-2759-7.

L'auteur du compte rendu : agrégé d’histoire, Nicolas Plagne est un ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure. Il a fait des études d’histoire et de philosophie. Après avoir été assistant à l’Institut national des langues et civilisations orientales, il enseigne dans un lycée de la région rouennaise et finit de rédiger une thèse consacrée à l’histoire des polémiques autour des origines de l’Etat russe.

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Ferdinand Alquié ne vécut pas si loin de nous, même si la distance d’une époque ne se juge pas seulement au nombre des années ou des générations. Mort en 1985 à 79 ans, c’est un homme du XXe siècle, comme les intellectuels contemporains (Jean-Paul Sartre et Raymond Aron en philosophie, Ferdinand Braudel en histoire), passés par les mêmes écoles, les mêmes phénomènes de génération, les mêmes guerres, les mêmes paix. Moins illustre qu’eux, aujourd’hui comme de son vivant, c’était avant tout un grand professeur.

On rapporte encore dans les dernières générations de ses étudiants de Sorbonne quelques souvenirs des années soixante (mai 68 allait arriver, avec ses troubles universitaires) sur ce mandarin, petit homme, terreur des examens, avec son accent du sud-ouest. Alquié était aussi un auteur universitaire reconnu, spécialiste de la pensée de l’âge classique (La Découverte métaphysique de l’homme chez Descartes en 1950 entre autres livres et cours sur Descartes, deux livres sur Malebranche, un sur Spinoza, rien sur Leibniz en revanche), mais aussi auteur de livres plus personnels tenus en estime, comme Le Désir d’éternité (1943), La Nostalgie de l’être (1950) ou Solitude de la raison (1966).

Cette époque était une spécialisation choisie, elle exprimait une admiration pour un tournant de la pensée, où Alquié se reconnaissait. Sorte de néo-cartésien, par affirmation dualiste de la différence âme-corps, de la dignité de l’esprit, de la liberté de la volonté, de la puissance relative de la raison, de la possibilité de la morale et d’une sagesse, par une sorte d’adhésion à l’humanisme cartésien (avec une ambiguïté sur Dieu), il incarnait une certaine continuité de la pensée philosophique universitaire française (Léon Brunschvicg, plus «pascalien» dans ses intérêts historiques) avec son mélange d’optimisme raisonnable, de volontarisme moral, avec son exigence de rationalisme universel. Au-delà des titres distribués de PUF et des listes bibliographiques de licence, lui faisant une place obligée et méritée (face au «rival» plus «moderne», Martial Guéroult), la présence d’Alquié à la fin du siècle en Sorbonne se maintenait par l’hommage et la fidélité de ses disciples, comme M. et Mme Beyssade, enseignant encore dans les années 1990.

Mais Alquié était aussi l’ami de Breton et le défenseur (comme Bachelard) des surréalistes, voyant dans leur travail sur le sur-réel une expérience de l’imagination et des puissances de l’esprit. Une facette de son œuvre un peu passée de mode, avec l’effacement du surréalisme, gloire déjà «historique» de notre patrimoine. Plusieurs livres de sa bibliographie traitent aussi de l’affectif. L’article de dictionnaire en photomontage qui sert à illustrer la couverture de la Petite Vermillon cite cet Alquié de 28 ans, écrivant à Breton le 7 mars 1933 : «Ces mots que, somme toute, je prendrais volontiers pour programme : ici l’on boit, l’ont chante et l’on embrasse les filles». Le dualisme cartésien avec cette étrange et mystérieuse union réelle de l’âme et du corps servait de toile de fond à une méditation personnelle sur la condition humaine entre appel de l’éternité et de l’absolu et enracinement dans le corps, les passions de l’âme et les limites de l’expérience, et donc, de la raison.

Car Alquié suivait finalement une autre tendance forte de l’université française, son néo-kantisme spiritualiste, moral, doctrine de la finitude humaine (incapable d’une métaphysique positive, dogmatique, comme celle tentée encore de Descartes à Wolff à partir du Cogito) et de la dignité de l’homme comme personne. Hommage cartésien à l’Aufklärung douze ans après 1945, mais aussi cours classique, solide, pour candidats à la licence ou à l’agrégation, formation obligée, depuis Victor Cousin, des professeurs de philosophie en France.

Ces Leçons sur Kant : la morale de Kant de Sorbonne (réédition du polycopié édité par le CDU en 1957) nous font toucher du doigt le déroulement d’un cours suivi de haut niveau, tel qu’il fut prononcé, sur un sujet classique qui intéresse encore tout étudiant de philosophie. Neuf leçons composent ce cours et progressent des fondations historiques et critiques au sommet («das Höchste», dit Kant) : la satisfaction accomplie dans le souverain bien, objet adéquat de la volonté morale. «1 : La formation de la morale de Kant : du sentiment moral à la raison pratique» (aperçu historique sur l’évolution pendant la période pré-critique) ; «2 : La doctrine kantienne de la bonne volonté» ( seule chose absolument bonne dans le monde) ; «3 : Les impératifs et le concepts d’impératif catégorique» (distinction classique entre impératif hypothétique de prudence, technique, et impératif catégorique); «4 : Du concept à la formule de l’impératif catégorique» ; «5 : De la loi morale aux fins en soi et à l’autonomie de la volonté» ; «6 : De l’autonomie de la volonté et de la liberté» ; «7 : La doctrine de la liberté dans la Critique de la raison pratique» ; «8 : L’objet et le mobile de la raison pure pratique» et enfin «9 : Le souverain bien et les postulats de la raison pratique» (place de la religion et sens du postulat de l’existence de Dieu).

Alquié ne s’appuie que sur les textes de Kant et déploie son cours sans citer aucune étude de spécialiste ou interprétation de philosophes. Rousseau, Hume au début, Leibniz, servent parfois de repères obligés. Au moment de la conclusion, c’est Hegel (un peu l’antithèse), un court moment, et surtout Descartes qui sont nommés. Ni l’Histoire, ni l’érudition (pas de notes, pas de grandes digressions) ne surchargent le cours. On est dans la doctrine de Kant, telle qu’elle s’expose elle-même.

La conclusion du cours, une comparaison topique très universitaire Descartes-Kant, donne à comprendre le travail de va-et-vient d’Alquié entre ces deux penseurs fondateurs de la pensée et de la sagesse modernes, de finitude, habitée d’absolu et d’idéal. Contre Hegel (qui a reconnu la position fondatrice de Descartes) et la mode hégélienne (puissante depuis 1930 et surtout, avec le marxisme, après 1945), Alquié se place discrètement sous l’inspiration des «classiques» de sa jeunesse et en réaffirme la validité, tout en leur faisant mener l’esquisse d’un débat :

«L’étude kantienne de la raison théorique et celle de la raison pratique se rejoignent donc tout à fait dans leurs résultats. Non certes en une unité originaire ou finale où les tensions auraient disparu. Kant refuse au contraire le savoir absolu qui sera, pour Hegel, fondamental. Et ce refus est lié au fait que Kant veut avant tout sauver l’homme comme être moral. Les deux Critiques se rejoignent donc dans un équilibre où l’homme ne dit rien de plus que ce qu’il sait. Il y a quelque chose de semblable chez Descartes. Descartes a d’abord ramené toute la liberté vraie à la liberté éclairée (la liberté d’indifférence, c’est-à-dire née de l’ignorance lui paraissant alors « le plus bas degré de liberté »). Puis il a compris que la liberté d’indifférence était aussi pouvoir de choix, et faisait toute la dignité de l’homme. Descartes comprend donc que si ma liberté était purement et simplement une liberté éclairée, si je savais toujours ce qui est beau et ce qui est bien, je serai toujours moral sans avoir de choix, et donc sans mérite. (…) Chez Kant, le mouvement est différent, mais il exprime cependant une préoccupation semblable. (…) Pour que la moralité soit fondée, il faut que même au prix du malheur, il faut que mon savoir s’arrête à ce monde. Il faut que je sache mon devoir sans savoir si son accomplissement entraînera pour moi le moindre bonheur. (…)»

Descartes- Kant : l’espace où s’exprime une certaine époque de la pensée morale française.


Nicolas Plagne
( Mis en ligne le 01/09/2005 )
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