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Philosophie |
| William James La Volonté de croire Les empêcheurs de penser en rond 2005 / 24 € - 157.2 ffr. / 319 pages ISBN : 2-84671-137-2 FORMAT : 14,5cm x 20,5cm
Traduit de langlais (Etats-Unis) par Loÿs Moulin, présentation par Stéphan Galetic.
L'auteur du compte rendu: Chercheur au CNRS (Centre d'analyses et de mathématiques sociales - EHESS), Michel Bourdeau a publié divers ouvrages de philosophie de la logique (Pensée symbolique et intuition, PUF; Locus logicus, L'Harmattan) et réédité les conclusions générales du Cours de philosophie positive (Pocket) ainsi que l'Auguste Comte et le positivisime de Stuart Mill (L'Harmattan). Imprimer
Les préjugés ayant le privilège de ne pas être soumis au principe de contradiction, laméricanomanie actuelle cohabite souvent avec lidée que les Nord-Américains formeraient un peuple sans histoire, sans culture et presque né de la dernière pluie. Ce serait oublier quil y a un siècle déjà, le dernier cri, en philosophie, venait dOutre-Atlantique. Cest ainsi quavant 1914, Bergson consacrait à William James quelques pages justement célèbres, pendant que, de lautre côté de la Manche, Russell passait au feu de la critique la théorie pragmatiste de la vérité. Cest ainsi encore que louvrage que nous offrent les Empêcheurs de penser en rond nest pour lessentiel que la reprise dun volume publié en 1916 dans la Bibliothèque de philosophie scientifique de Gustave Lebon.
La Volonté de croire napporte sans doute pas grand-chose à la gloire de son auteur et lon est en droit de lui préférer les Principes de psychologie, que le même éditeur a republié lan dernier, ou Les Variétés de lexpérience religieuse, traduit en Français dès 1906, soit quatre ans à peine après leur publication. La dizaine de textes recueillis en 1897, avec le sous-titre : Essais de philosophie populaire, dont on se demande pourquoi il a disparu , est composée pour une bonne part décrits de circonstance, cest-à-dire étroitement dépendants dun contexte culturel qui nous est devenu pour lessentiel étranger. Nombre de références ne disent plus rien au lecteur daujourdhui, du moins au lecteur européen, et le temps passé à réfuter Spencer vaut tout au plus comme témoignage de laudience considérable dont ce dernier jouissait alors. Comme Bergson, James oppose au positivisme diffus quil voit se répandre autour de lui les valeurs et les arguments du spiritualisme. Mais il est difficile de partager son intérêt pour la recherche psychique (i.e., à peu de chose près, la parapsychologie) et le développement sur le monde invisible qui nous entoure, sur «latmosphère spirituelle» dans laquelle baigne «notre existence physique» (pp.85-86) fait irrésistiblement penser au Maeterlinck du Trésor des humbles (1896).
Qui veut bien faire abstraction de ces rides laissées par le passage du temps trouvera ici une image assez vivante du style philosophique de James, et lénoncé de certaines des thèses auxquelles son nom est resté attaché. Lauteur est très présent dans ces pages. Ainsi, le chapitre deux, «La vie vaut-elle dêtre vécue ?», sappuie sur une expérience personnelle décisive, James ayant traversé au sortir de ladolescence une longue et profonde dépression. Cest à Renouvier quil doit dy avoir trouvé une heureuse issue et davoir ainsi, selon ses propres termes, pu «renaître à la vie morale». Comme Alain à la même époque, le jeune Américain resta marqué toute sa vie par largument que le fondateur du néo-criticisme avait développé en faveur de la liberté : si je suis libre, le premier acte de liberté consiste dans laffirmation de la liberté. La Volonté de croire développe certaines des conséquences de cet acte inaugural de la philosophie de James. Le chapitre quatre, qui fut traduit dans la Critique philosophique du même Renouvier lannée même de sa publication en anglais, expose «le dilemme du déterminisme». Les chapitres sept et huit («Les grands hommes et leur milieu» ; «De limportance des individus») dénoncent alors largument paresseux auquel le déterminisme sert souvent de caution : si tout est déterminé, à quoi bon se fatiguer à vouloir intervenir dans le cours des évènements. Contre «lévolutionisme» (par où il faut entendre, non le darwinisme, mais lusage qui en était fait alors en philosophie sociale), qui décrit lhomme comme dominé par des forces supérieures, James fait valoir lénergie de lindividu capable de dépasser le milieu dans lequel il sest formé et de marquer lhistoire de son empreinte. Dans le vieux conflit entre point de vue social et point de vue individuel, James prend résolument parti en faveur du second, qui est celui des moralistes.
Ce qui distingue en effet le pragmatisme de James de celui de Peirce ou de Dewey, cest que le souci de positivité manifeste chez ceux-ci sefface au profit de léthique, qui en devient presque omniprésente. Le titre de louvrage, qui reprend celui du premier essai, est à cet égard très explicite. La foi nest pas considérée dans sa dimension spéculative, comme une «attitude propositionnelle», pour employer le jargon des philosophes (croire que
, lobjet dun credo), mais dans son aspect pratique. Ce principe daction, procédant de la volonté, cest la foi qui transporte les montagnes, et lon ne sétonnera donc pas que dans la brève préface, lauteur précise que les quatre premiers chapitres ont pour objet de défendre la foi religieuse. De cette disposition à «agir pour une cause dont le succès nest pas établi davance» (p.113), James retient avant tout la capacité remarquable quelle a de créer sa propre validation. Les exemples les plus significatifs en ont déjà été donnés. Pour être libre, il faut commencer par croire quon lest et affirmer sa propre liberté ; la victoire sur le pessimisme est du même ordre. Largument invoqué apparaît toutefois assez faible. Comment la raison pourrait-elle ne pas protester, lorsquelle est invitée à poser lexistence de Dieu «simplement pour nous donner le prétexte de vivre avec courage» (p.214) ? Il convient toutefois de ne pas se méprendre sur la portée limitée accordée par James à ce genre de considérations. Lappel à la volonté, cest-à-dire encore au courage, à la vertu, interdit de confondre cette attitude avec celle qui consiste à prendre ses désirs pour des réalités et que les Anglais appellent wishfull thinking. James se présente comme un professeur dénergie, dans la tradition de ces moralistes comme Vauvenargues, qui notait lui aussi que «le sentiment de nos forces les augmente».
Il vaudrait la peine de comparer en détail ces analyses et la «méthode de la ténacité» décrite par Peirce quelque temps plus tôt. La différence commence avec la position du problème : pour lutter efficacement contre le scepticisme, estime ce dernier, il faut réussir à fixer les croyances, et, pour cela, commencer par étudier de manière positive les divers moyens dont nous disposons à cet effet. James reste étroitement tributaire de la pensée théologique. Ainsi, il ne réussit pas à dissocier religion et croyance en Dieu, passant ainsi à côté du concept de foi positive. Très symptomatique à cet égard est également la supériorité permanente accordée à la formulation théologique du problème du déterminisme, donnée comme «la plus simple et la plus profonde» (p.174).
Malgré ses faiblesses ou ses longueurs, louvrage reste agréable à lire. Si, à la différence de son frère Henry, William James na pas fait carrière dans la littérature, il nen possédait pas moins de réels talents littéraires, ce qui explique sa popularité car, au plan proprement philosophique, il est permis de lui préférer Peirce. La Volonté de croire relève de ce que les moralistes dautrefois appelaient le genre parénétique, cest-à-dire, qui nous exhorte à la vertu. La parénèse est passée de mode mais il nest pas mauvais de sentendre de temps en temps assener quelque bonne vieille vérité ; par exemple que : «le mot de lénigme, pour les savants comme pour les ignorants, réside en dernier ressort dans le consentement muet ou dans la résistance intérieure de leur âme. Il nest nulle part ailleurs, ni dans les cieux ni au-delà des mers ; le verbe est tout près de toi, sur tes lèvres et dans ton cur, afin que tu puisses laccomplir» (p.215).
Michel Bourdeau ( Mis en ligne le 05/02/2006 ) Imprimer | | |
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