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Philosophie |
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Défense et illustration de la subjectivité critique | | | Slavoj Zizek La Subjectivité à venir Flammarion - Champs 2006 / 8.50 € - 55.68 ffr. / 212 pages ISBN : 2-08-080169-4 FORMAT : 11,0cm x 18,0cm
L'auteur du compte rendu : agrégé dhistoire, Nicolas Plagne est un ancien élève de lEcole Normale Supérieure. Il a fait des études dhistoire et de philosophie. Après avoir été assistant à lInstitut national des langues et civilisations orientales, il enseigne dans un lycée de la région rouennaise et finit de rédiger une thèse consacrée à lhistoire des polémiques autour des origines de lEtat russe. Imprimer
Lhomme est conscience et la conscience est désir et affect, désir de reconnaissance, dappropriation, de maîtrise, mais ce désir se retourne en histoire dialectique de saisies unilatérales, limitées et aliénantes du réel, et source daction transformatrice de soi et du monde (lhistoire) et aussi dillusions. Cette thèse hégélienne a eu pour postérité (outre la rumination de la scolastique néo-hégélienne) deux directions à la fois critiques et «thérapeutiques» fructueuses : le marxisme dans lexploration de la différence réel/idéologie dans le domaine de léconomie politique et des rapports de classes, dune part ; la psychanalyse dans le domaine des angoisses et névroses de lindividu aux prises avec les pulsions fondamentales et la dynamique voilée de linconscient dans le rapport avec autrui, soi-même la condition humaine - et le monde.
Slavoj iek croise librement ces approches dans la tradition marxo-freudienne, en sappuyant sur sa formation marxiste dorigine dintellectuel du bloc communiste, qui intégrait depuis longtemps la discussion de la validité relative de la psychanalyse, notamment en Hongrie et en Tchécoslovaquie, anciennes provinces de lEurope centrale germanisée. On a donc sous les yeux le produit dune adaptation réussie, dune reconversion dans le champ des exercices analytiques post-modernes de lépoque post-communiste, qui fait fond sur une solide maîtrise des classiques, de leurs positions et lassimilation brillante des courants contemporains dominants, notamment de la psychanalyse lacanienne. Et cet aggiornamento marxo-freudien se fait avec style universitaire et un brio rhétorique post-modernes certains, ce qui nest dailleurs pas entièrement original, notamment chez les philosophes dEurope de lest depuis 1989, souvent fort habiles, quils soient devenus néo-wébériens et subtilement libéraux ou qu'ils combinent marxisme hérétique et psychanalyse, se rendant plus lisibles à notre époque.
Lexistence humaine étant subjective et inter-subjective, cest de lanalyse de la subjectivité et de la critique de ses croyances collectives réifiées en évidences objectives que dépend la possibilité dune libération de soi et des autres dans le champ social par le travail des penseurs, des artistes, des politiques laïques, humanistes et malgré tout socialistes en un sens anti-capitaliste (quil soit individualiste-atomisant ou monopoliste) et anti-totalitaire. Lavenir dépend de «la subjectivité à venir». Consciente des dispositifs pour sa sujétion par les machines à suggestions de la démocratie capitaliste, elle doit sexhausser (et ainsi sexaucer aussi) en individualité non-consumériste, radicalement critique et auto-critique ou sabandonner au sommeil de la raison et aux destins formatés de lesclavage. Ces dispositifs sont sans cesse nouveaux, même sils mettent en jeu souvent les mêmes ressorts et le travail sur soi est à remettre sur le métier : fonction essentielle du penseur et de lartiste. Ainsi histoire et essence, société et intériorité doivent-elles être sans cesse dénouées et renouées par une pensée créatrice et plastique ouverte à linédit. Impliquée dans la libération du sujet : la pensée du Réel voire de «lêtre» ! Justification dun marxo-freudisme ouvert (mêlant les contributions dAdorno, de W. Benjamin, de Lacan, J.-A. Miller et A. Badiou, voire du spinoziste anti-freudien Deleuze) et dun questionnement heideggerien pas le moins du monde abstrait, mais principiel, sur lhistoricité de lexistence et du déploiement de lêtre, lessence de la technique et larraisonnement (économiste, politique, etc.) de nos vies.
Le thème de ces «essais critiques» est celui de la vie par procuration dans la société post-moderne : spectaculaire, marchande. Dans une approche qui rappelle celle de G. Debord, J. Baudrillart et C. Rosset, la subjectivité du contemporain est présentée dans ses illusions, ses fétichismes, ses fantasmes, ses hallucinations, ses satisfactions de substitution, ses dé-réalisations, bref dans les formes de son aliénation. iek analyse toutes sortes de phénomènes culturels contemporains (succès du cinéma hollywoodien, cyber-communication-et-commerce, réception littéraire, tendances socio-politiques densemble, etc.) sans sembarrasser de canons hiérarchiques (Mel Gibson et Ridley Scott côtoient Wagner) ni de séparation des genres. Dans leur langage, leur esthétique et leurs schémas interprétatifs, il cherche des clés en usant dune boîte à outils formés de concepts empruntés ici et là.
Cela donne quelques conflits dinterprétation avec des auteurs stimulants dont les a priori et les jugements sont soumis à analyse : Badiou et Cie dans leur lecture enthousiaste de Matrix, Susan Sontag sur le fascisme congénital de lart chez Leni Riefenstahl, ou avec Deleuze moins émancipé de la tradition métaphysique critiquée quil ne le laisse penser, etc. Certains jugements de lauteur risquent de défriser les bien-pensants et de briser le code des tabous : ironie sur linvocation dun droit biblique dIsraël sur la Palestine par des Juifs athées, critique de lhypocrisie de la «tolérance» en matière religieuse (en fait du mépris) dun occident lui-même fanatique de sa rationalité (discutable) et adepte dune existence entièrement «décaféinée» et vouée à lintégration travail-consommation, facilité des lectures libérales du proto-fascisme de Wagner, Riefenstahl ou du fascisme rouge du rapport au corps dans les sports collectifs et les défilés des jeunesses ouvrières.
On peut se demander cependant si le livre ne révèle pas des signes dintégration de la part de S. iek au monde quil critique, par le sas de luniversitarisme critique «mondain». Des prudences opportunes étonnent un peu de la part dun auteur qui a autrefois bravé certains tabous occidentaux sur le léninisme et le totalitarisme avec plus de courage. Lanalyse des rapports de lécrivain Peter Handke avec la Yougoslavie est intéressante : fils de Slovène, il aurait idéalisé cette région en lieu de la pureté socialiste (ni publicité, ni marché), de lauthenticité éthique réalisée sur terre et contre-exemple des potentialités dune voie marxiste entre capitalisme honni et URSS. Doù un mépris de la Slovénie réelle quand elle bascule dans lindépendance capitaliste et lintégration européenne. Ce ressentiment et la haine du séparatisme croate et bosniaque auraient poussé Handke à la serbophilie et (cest au moins suggéré) à ladmiration pour Milosevič sujet dactualité, puisque Handke a été attaqué violemment en occident et censuré en France du fait de sa présence aux obsèques de ce dernier. La Serbie serait devenue une Slovénie de substitution, le lieu dune projection imaginaire du besoin de réalisation historique du fantasme. Pas impossible. Mais dans le contexte, il eut été élégant déquilibrer les choses en parlant du fantasme de la brave Croatie, des Musulmans de Bosnie et de leurs chefs islamistes (heureux Djihad approuvé par lEurope! Mais autre temps, autres murs
). Et sur lexplosion de la Yougoslavie par les soins de la RFA avec la complicité des Etats-Unis : rien. On aurait parfois envie de lire et dire les oublis de iek à la iek pour le plaisir de lexercice de dévoilement
Suprême hommage au maître.
Nicolas Plagne ( Mis en ligne le 07/02/2007 ) Imprimer | | |
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