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| Anne Dufourmantelle La Femme et le Sacrifice - D'Antigone à la femme d'à côté Denoël - Médiations 2007 / 20 € - 131 ffr. / 299 pages ISBN : 978-2-207-25412-7 FORMAT : 14,0cm x 22,5cm
L'auteur du compte rendu : Docteur en sociologie, diplômé de lInstitut dEtudes politiques de Paris et de la Sorbonne (maîtrise de philosophie), Christophe Colera est l'auteur, entre autre, chez LHarmattan, de Individualité et subjectivité chez Nietzsche (2004). Imprimer
Il est des aspects de la réalité humaine dont une certaine rationalité instrumentale sacharne à aplanir le relief, à désamorcer le potentiel, et quelle tente de rendre inoffensifs. Il appartient alors au penseur de les débarrasser de leur carcan de conformisme, et de banalisation. Cest ce que sattache à faire, dun livre à lautre, la psychanalyste et philosophe Anne Dufourmantelle sur un sujet cardinal entre tous : celui de la féminité. Après avoir, il y a quelques années, dans son essai Sauvagerie maternelle, sondé le pouvoir des mères dans ce quil a de plus redoutable, elle en explore aujourdhui le revers : le pouvoir de donner et de se donner la mort (symbolique ou réelle) en lieu et place de ce quune femme peut normalement donner, cest-à-dire la vie.
A la différence du renoncement qui est un abandon du désir qui obéit aux lois du lignage familial , le sacrifice est une forme de «surdésir», une rupture active avec la communauté, en même temps quune convocation de lAutre, pour briser le cercle, créer une ouverture.
La Femme et le Sacrifice est avant tout comme une promenade à travers les grandes figures et les grandes thématiques du sacrifice féminin. Cela lui donne une liberté à la mesure de son ambition. Sans sembarrasser des particularismes sociaux, ethniques et historiques, louvrage dresse une sorte de problématique existentielle générale saupoudrée de vocabulaire psychanalytique. Certes, selon lexpression consacrée, parfois «qui trop embrasse mal étreint». Notamment on peine quelque peu à saisir dans la démonstration de lauteure ce qui unit réellement le suicide dune jeune kamikaze palestinienne et la «vie blanche» des femmes réduites à une existence minimale, ce sacrifice qui «ne sacrifie rien» de laveu même de lauteur (p.48). La différence entre cette dernière forme «intériorisée» de sacrifice et le renoncement ne réside-t-elle pas, au fond, dans le regard de la communauté, que précisément requiert tout acte sacrificiel, c'est-à-dire en dernière analyse le fantasme projeté par lobservateur extérieur sur ce qui peut être aussi bien sacrifice ou simple renoncement, voire simple accident ?
Néanmoins lobstination dAnne Dufourmantelle à séparer le sacrifice de la loi du désir (la «séparation» n'étant dailleurs pas le propre du sacré) et à voir dans les anorexiques qui sallongent sur son divan des Antigone et des Iphigénie, a un mérite certain : celui de reconnaître la source spirituelle de leur mal (p.76) face aux tentations dune médication purement chimique, cest-à-dire, par la reconstruction imaginaire du sens, redonner à chacun les moyens de sa réappropriation subjective.
Pour Dufourmantelle en effet, cest le refus du sacrifice dans les familles et dans notre société qui pousse au renoncement, au devenir-objet dont le suicide peut être une forme. Le sacrifice, lui, refait advenir le sujet dans un acte sublime de différance quand plus aucune autre option vivable nest offerte.
Ainsi donc lauteure, au milieu dune sorte de tableau des grands mythes disséqués à la manière de la Psychanalyse des contes de fées de Bettelheim, rend en quelque sorte justice à la jeune fille qui tue la mère en elle au nom dun amour absolu pour le père, à lamante instrumentalisée comme dans Breaking the Waves, à la mère qui accable ses enfants du poids de ses sacrifices, ou les sacrifie eux-mêmes. Elle les rapporte aux paradoxes de la psyché, et au mystère des vies singulières. Incidemment, cest aussi le tableau dun certain milieu, dune certaine époque, quAnne Dufourmentelle dessine en filigrane : celui de ses clients, les classes moyennes ou aisées, urbaines, dans un univers occidental saturé de biens matériels, et de solitude individuelle.
Somme toute il ne sagit là ni de philosophie ni de science rigoureuses. Seulement de remarques tirées dune pratique clinique, et dune libre méditation souvent très éclairante sur le corpus canonique de notre littérature. Comme la philosophie de Derrida quelle cite une ou deux fois, Dufourmantelle se garde de conclure, parce quau fond le sacrifice féminin comme peut-être tout sacrifice ne donne aucune leçon, si ce nest une leçon dhumilité : une incitation au respect de la singularité des expériences individuelles. «On ne peut pas rejoindre une vie au-delà delle-même, de ce quelle laisse comme traces, comme souvenirs, comme chagrin», observe Dufourmantelle, à la fin de son livre, devant le suicide de Virginia Woolf. Cest intellectuellement frustrant, mais peut-être "existentiellement" adéquat
Christophe Colera ( Mis en ligne le 30/04/2007 ) Imprimer
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