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Plus dure sera la chute
Jean-Michel Oughourlian   Genèse du désir
Carnets Nord 2007 /  19 € - 124.45 ffr. / 277 pages
ISBN : 978-2-355-36003-9
FORMAT : 14,0cm x 21,0cm

L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est l’auteur de Le Cinéma de Woody Allen (Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman (Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal.
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Jean-Michel Oughourlian est neuropsychiatre et psychologue. Ancien professeur de psychopathologie clinique à l'université, il a longtemps dirigé le service de psychiatrie de l'Hôpital américain de Paris. Il a co-écrit, avec René Girard et Guy Lefort, Des choses cachées depuis la fondation du monde (1978). Il est aussi l'auteur de La Personne du toxicomane (1974) et de Un mime nommé désir (1982). Son dernier ouvrage, Genèse du désir, tente une synthèse et s'inscrit dans la lignée de la théorie du désir mimétique développée par René Girard à qui le livre est d'ailleurs dédié.

Résumons-là : pour René Girard, le désir ne se fixerait pas de façon autonome selon une trajectoire linéaire sujet/objet, mais par imitation du désir d'autrui selon un schéma triangulaire sujet/modèle/objet. C'est parce que quelqu'un d'autre désire un objet que nous le désirons à notre tour (une femme, de la nourriture, un territoire). L'hypothèse girardienne repose sur l'existence d'un troisième élément, médiateur du désir, qui est autrui. Shakespeare a cette phrase dans ses Sonnets : «Tu l'aimes, toi, car tu sais que je l'aime». Nous aimons la femme d’un ami parce que nous l’imitons dans son amour et non parce que nous aimons cette femme, indépendamment de cet ami. C'est bien parce que nous le prenons pour modèle, que nous allons aimer cette femme car si cet ami ne l’aimait pas, sans doute ne l'aimerions nous pas non plus. C'est parce que l'être que j'ai pris comme modèle désire un objet que je me mets à désirer celui-ci et l'objet ne possède de valeur que parce qu'il est désiré par un autre. La publicité n’agit-elle pas de cette façon, en proposant certes un objet à désirer mais, et surtout, en insistant sur le fait que d’autres personnes désirent aussi ce même produit ou qu’elles semblent comblées par sa possession? Nul doute qu’il s’agit de l’une des théories les plus pertinentes du XXe siècle !

Il y a un problème dans l'organisation de cet essai. On s'attend à une étude concernant certes le genèse du désir, mais plus précisément le désir amoureux. Un bandeau un peu racoleur recouvre le livre et indique : "Sauver son couple". La quatrième de couverture y fait allusion. "Comment sauver un couple lorsque la guerre s'y déclare ? En l'aidant à reconnaître que le désir ne vient pas de soi mais de l'autre. Des stratégies sont possibles, que l'auteur a mises en pratique avec ses patients. Alternant les études de cas et des moments plus théoriques, cet ouvrage défend avec conviction l'idée que la rupture n'est pas une fatalité." Effectivement, l'introduction commence avec quelques cas cliniques, des couples qui viennent consulter Jean-Michel Oughourlian.

Les chapitres suivants abandonnent étrangement cette optique pour se consacrer à l'étude du désir mimétique. Soit. Il parait normal et logique que l'on en passe par la description d'une telle théorie, simple et complexe à la fois, avant d'aborder le sujet proprement dit. Cependant, la seconde partie étudie le désir mimétique chez Adam, Ève et le serpent. La chose n'est évidemment pas inintéressante mais un peu hors de propos.

Car dans la troisième partie, «La Mimésis universelle», nous voilà dans la défense de la théorie du désir mimétique ("Quelques précurseurs") au niveau universel avec un parallèle assez douteux entre ce même désir mimétique et la matérialité physique d'un fluide de Franz Anton Mesmer, fluide universel qui pénétrait tous les corps animés ou inanimés ! Puis l’auteur enchaîne sur la découverte des neurones miroirs, qui validerait la théorie du désir mimétique au niveau neurobiologique. Ces neurones miroirs ont été découverts grâce aux travaux des chercheurs de l'institut des neurosciences de l'université de Parme : Giacomo Rizzolati, Leonardo Fogessi, Vittorio Gallese et leurs collaborateurs. Il existerait, dans les aires frontales motrices, des neurones miroirs qui s'activent à la vue d'une action faite par un autre humain (ils s'allument sur le Pet-scan, tomographie par émission de positons), exactement de la même manière chez celui qui exécute l'action et chez celui qui le regarde faire. Ces neurones miroirs des aires motrices et prémotrices restent silencieux devant un mouvement effectué par un non-humain ou un non-animal.

Vittorio Gallese conclut que ce n'est pas seulement le mouvement qui se communique de l'homme au singe ou de l'homme à un autre homme, mais aussi l'intention. "Vittorio Gallese, avec lequel j'ai longuement discuté à Stanford, en avril 2007, reconnaît que la mimésis girardienne est confirmée par cette découverte, même s'il a utilisé, pour caractériser ce processus, le terme de «simulation incorporée» (embodied simulation) plutôt que celui d'imitation ou de mimésis» (pp.166-167). Jean-Michel Oughourlian écrit encore : "Ce que Vittorio Gallese nous a encore appris à Stanford en ce mois d'avril, et qui n'a pas encore publié, est que le système miroir réagit et répond de façon encore plus vive si, dans le geste ou l'intention perçues, il entre une dimension de compétition" (p.174).

Plusieurs problèmes surgissent car il est assez notoire, dans le milieu des sciences cognitives, que les auteurs de l'article on eu tendance à surinterpréter leurs résultats pour en augmenter l'impact. Jean-Michel Oughourlian ne prend pas assez de recul concernant cette découverte. Si l'expérience montre que certains neurones s'activent quand on observe une action d'autrui et qu'on l'accomplit soi-même, cela ne signifie pas que voir autrui agir pousse à agir de la même façon. Un neurone n'est pas un programme. Parce qu'en même temps d'autres neurones s'activent pour inhiber ou empêcher l'action. Au passage, le terme de Vittorio Gallese, "simulation incorporée" est différent d'"imitation". L'hypothèse est qu'on ne peut comprendre l'action d'autrui sans s'imaginer la faire soi-même. Pas d'imitation ici. Et si cette hypothèse n'est qu'une interprétation, elle dépasse les résultats de l'expérience. De même, l'intention n'est pas "transmise", elle est identifiée. Identifier l'intention d'autrui n'est pas la partager. On peut dire en revanche que ces neurones miroirs sont les candidats les plus sérieux à un mécanisme lié au comportement imitatif. Jean-Michel Oughourlian utilise un résultat prometteur comme une certitude absolue surtout quand il dit : "Mais ce n'est qu'au début des années 1990 que les hypothèses mimétiques se sont transformées en certitudes scientifiques grâce aux travaux des chercheurs de l'institut des neurosciences de l'université de Parme (...)" (p.165). Ne va-t-il pas vite en besogne ? Il faudra encore beaucoup d'expériences avant de le savoir.

Ce n'est donc qu'à la page 193 et la quatrième partie intitulée «Clinique de la rivalité» que Jean-Michel Oughourlian consent à nous intéresser à la rivalité au sein du couple et à l'étude de quelques cas cliniques. Il distingue à cet égard une jalousie de la moitié et une jalousie du tiers. La jalousie de la moitié est une rivalité mimétique redoutable pour les couples : le rival n'est pas ici un rival externe mais le conjoint lui-même. Chacun adopte la position inverse de l'autre. Le schéma est celui d'une balançoire fixe, une planche oscillant autour d'un support. La jalousie du tiers est l'oeuvre du désir mimétique : ce sont des rivalités ou des jalousies qui s'exercent à trois. Il y a souvent un personnage que l'on ne voit pas, le médiateur caché, qui joue un rôle décisif au sein d'un couple.

Dans l'ensemble, et même en analysant quelques cas, Jean-Michel Oughourlian est assez sommaire, voire simpliste. On est déçu in fine, à hauteur de sa curiosité initiale pour un pareil sujet. Cela peut aider sans doute ceux qui n’étaient pas au courant de la théorie du désir mimétique mais l'ouvrage est tout de même étrangement bâti. On aurait aimé de la part d'un défenseur des théories de René Girard non seulement une argumentation imparable mais un essai plus rigoureusement centré sur le désir amoureux avec des cas cliniques exemplaires, minutieusement analysés et aussi des exemples empruntés à la littérature. Pour une autre fois ?...


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 01/07/2008 )
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