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Films rares d'un maître
avec Kenji Mizoguchi, Isuzu Yamada, Komako Hara, Yukichi  Iwata
Carlotta Films 2008 /  34.99   € - 229.18 ffr.
Durée film 218 mn.
Classification : Tous publics

Sortie Cinéma, Pays : 1935, Japon
Titre original : Orizuru Osen, Gubijinsô, Maria no Oyuki

Version : 2 DVD 9/Zone 2
Format vidéo : 4/3
Format image : 1.37 (noir & blanc)
Format audio : Japonais (mono)
Sous-titres : Français

DVD 1
La Cigogne en papier (1935)
Bonus :
- La cignogne en papier par Pascal Vincent (3mn)
- L'art du benshi (12 mn)
- La cignogne en papier : en direct avec un benshi (15 mn)

DVD 2
Oyuki, la vierge (1935)
Les Coquelicots (1935)
Bonus :
- Oyuki, la vierge par Pascal Vincent (3 mn)
- Les Coquelicots par Pascal Vincent (2 mn)
- Isuyu Yamada, une vie d'actrice (19 mn)

L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est l’auteur de Le Cinéma de Woody Allen (Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman (Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal.

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Etant donné que les ciné-clubs sont à l'agonie et que nous ne verrons plus un jour les films dans leur format d'origine, l'éditeur Carlotta poursuit son travail remarquable en portant à la connaissance du public un grand nombre de films issus de l'histoire du cinéma, et notamment ici ceux du maître du cinéma japonais, Kenji Mizoguchi. Ce dernier est assez gâté après le coffret de MK2, les deux coffrets Opening, les DVD de l'éditeur Films sans frontières, et enfin, le coffret des années 40 chez Carlotta ! Ce n'est que mérite. Le cinéaste commença sa carrière en 1923 avec Le Jour où l'amour revit et réalisa près de quatre-vingt-dix films, le dernier étant La Rue de la honte (1956). La dernière période consacra le cinéaste comme un immense artiste avec des films comme Madame Oyu (1951), La Vie d'O'Haru femme galante (1952), L’Intendant Sansho (1954), L’Impératrice Yang Kwei-Fei (1955), Les Amants crucifiés (1954), et bien sûr, Les Contes de la lune vague après la pluie (1953).

Nous voici au contraire dans les années 1930, non pas aux débuts de la carrière du cinéaste car Kenji Mizoguchi a déjà réalisé à cette époque près de soixante films... mais il est intéressant de voir l'évolution du maître pour envisager comment il a pu réaliser de tels chefs-d'œuvre vers la fin de sa vie. Ces années sont d'autant plus cruciales que beaucoup de films, muets pour la plupart, ont disparu ou ont été perdus. Cruel destin. Le travail de Carlotta donc une ampleur émouvante concernant ce patrimoine quasiment invisible même si les films souffrent de défauts de conservation (son défaillant, pellicules rayées...) qui rendent souvent pénibles leur visionnage. Cependant, voilà des films forts rares et d’une beauté fulgurante d'un des plus grands cinéastes du XXe siècle.

La Cigogne en papier (1935) est le dernier film muet du réalisateur, même s'il est sonorisé : il y a de la musique et un benshi lit à haute voix les cartons : il s'agit d'une personne qui, à l'époque, commente les films, lit les intertitres (pour un public largement analphabète) et énonce les dialogues des acteurs durant la diffusion du cinéma muet au Japon. Tiré d'une histoire de Kyoka Izumi, le scénario a été écrit par Tatsunosuke Takashima et raconte l'histoire d'un homme et d'une femme, tous les deux sont à quelques mètres l'un de l'autre sans se voir, dans une gare. Il pleut et une panne d'électricité retarde l'arrivée et le départ des trains. Voilà le début du film, qui permet la mise en place d'un retour en arrière, figure de style fort rare chez Kenji Mizoguchi... Ces deux personnes se connaissent trop bien et pour cause... Sokichi quitte son village pour faire des études de médecine. Obligé de devenir serviteur pour ne pas mourir de faim, il rencontre une belle prostituée, Osen, qui le prend en pitié. Celle-ci, contrainte de participer aux activités douteuses d'une bande de voyous dirigée par Matsuda, un maquereau, escroque la plupart de ses clients. Osen décide de fuir avec Sokichi.

La mise en scène de Kenji Mizoguchi n'a pas encore atteint la maturité des derniers films mais tout est déjà bien là. Des plans-séquences, véritables plans-rouleaux qui déroulent les morceaux successifs d'espace, une position assez haute de la caméra (à la différence radicale de Yasuhiro Ozu évidemment), produisant un effet de plongée en perspective, le même angle pour des plans contigus et une distance qui interdit de se rapprocher du personnage tout en permettant des panoramiques qui prolongent l'intensité jusqu'au bout dans l'espace. Si le film a une structure mélodramatique facilement reconnaissable, la mise en scène structurée limite considérablement tout débordement de pathos et permet au cinéaste de mettre en valeur sa vision tragique du monde. Un monde brutal auquel échappent quelques rares personnages par leur réelle bonté et leur altruisme. Il se dégage de ce film une mélancolie telle qu’elle en est souvent difficilement supportable.

C'est dans cet environnement finalement pudique car jamais lyrique, que Kenji Mizoguchi déploie une superbe réalisation et il n'est pas rare d'oublier momentanément l'intrigue pour admirer la composition rigoureuse d'une scène jouant à la fois sur la distance, la profondeur de champ, le plan-séquence et la beauté des échanges entre les personnages. Le noir et blanc et l'ancienneté du film donne à La Cigogne en papier une teinte intimiste bouleversante. Le titre du film est en réalité un détail tout autant anecdotique que crucial, une cigogne en papier que Osen fabrique pour elle-même, symbolisant la beauté, la délicatesse et l'envol de l'âme. Choses fort rares dans ce monde cynique.

Les suppléments du DVD font une large place aux benshi. Les textes étaient inventés par les benshi pour l'occasion et se substituaient à l'autonomie narrative du film : le benshi pouvait même raconter une histoire très différente, à partir d'un même film. Certains d'entre eux étaient populaires et plus connus que les réalisateurs ou acteurs des films qu'ils commentaient. Leur popularité et leur influence explique le léger retard du cinéma parlant au Japon, qui ne s'implanta qu'à partir de la seconde moitié des années 30, après une longue controverse et une grève des benshien 1932. L'âge d'or des benshi se situe vers 1920, lorsque la dimension artistique du cinéma muet s'affirma.

Le second DVD présente le film Oyuki, la vierge (1935) écrit par Matsutarô Kawaguchi et Tatsunosuke Takashima d'après le célèbre roman Maupassant, Boule de suif. L'action se situe en 1878, à l'époque de la guerre de Seinan. Oyuki, une prostituée, fuit avec l'armée Saigo de Kumamoto a Hitoyochi, poursuivie par l'armée impériale. Comme dans La Cigogne en papier, c'est la comédienne fort connue au Japon, qui joua avec les grands maîtres, Isuzu Yamada (née en 1917 et encore vivante) qui interprète le rôle principal. On reconnaît la sensibilité de Kenji Mizoguchi non seulement pour les femmes mais pour les déclassés, les personnes qui font simplement valoir leur juste rapport à eux-mêmes, leur dignité d'être juste ce qu'ils sont, ni plus ni moins, généralement en proie à une foule vindicative, fort de son nombre et de se croire du bon côté.

L'histoire est en elle-même assez parlante : fuyant l'armée gouvernementale, un groupe de bourgeois se voit contraint de voyager avec deux prostituées. Ils sont faits prisonniers par un commandant qui les méprise. Il les oblige à lui sacrifier leur fille puis renonce aux avances de l'une des prostituées avant de tomber amoureux de la seconde. Ils doivent se séparer et l'armée est mise en déroute par les rebelles. Les prostituées ne peuvent s'enfuir : le groupe de bourgeois les rejette du bateau. Revenues dans leur village, elles sauveront le commandant en fuite : l'héroïne faisant comprendre à la prostituée repoussée qu'en fait, elle aime l'officier malgré son humiliation. Le film est certainement plus classique et moins passionnant que le précédent mais il est le travail toujours aussi remarquable de Kenji Mizoguchi à la mise en scène et dans sa direction d'acteur.

Enfin, le dernier film, Les Coquelicots (1935), tiré d'un roman du célèbre romancier nippon Soseki Natsume et adapté à l'écran par Haruo Takayanagi et Daisuke Itô, raconte une histoire passionnante et complexe. Inoue, professeur retraité, accompagne sa fille Sayako à Tokyo pour la marier à Ono, son ami d'enfance. Mais le jeune homme est séduit par Fujio, une jeune fille moderne fiancée à Munechika. Le film étudie fort bien le classique dilemme qui se pose à n'importe qui à un moment ou à un autre : aime-t-on réellement la femme (ou l'homme) que l'on aime ou est-elle (il) téléguidé(e) à notre insu par un modèle, une imagerie sociale trop fortement conformiste au point qu'elle entrave ses propres sentiments ou élans ? Par exemple, il ne s'agit pas d'un modèle social de pauvreté ou de contraintes répressives comme on l’entend généralement mais du fait ici que le jeune homme ait raison ou non d'épouser la jeune femme de ce professeur qui l'a aidé dans sa vie. Le phénomène est compliqué par une autre intrigue : le jeune homme est attiré par une autre femme déjà prise par quelqu'un d'autre... Alors quel est le bon choix ? C'est tout l'enjeu de ce film. A cet égard, Kenji Mizoguchi pose des questions cruciales avec une telle simplicité dans la forme et dans le fond que cela relève du génie, à l'égal de Yasuhiro Ozu qui se rapproche beaucoup d'un tel sujet. Le film est magnifique dans son déroulement narratif et la mise en scène de Kenji Mizoguchi est toujours enthousiasmante tant par l'intelligence des plans que par la beauté des scènes.

Bref, voilà une édition qui permet, le circuit des salles étant défaillant, de découvrir encore quelques chefs-d'œuvre oubliés de l'histoire du cinéma.


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 21/03/2008 )
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