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Coffret Kenji Mizoguchi
avec Kenji Mizoguchi
Opening 2004 /  50  € - 327.5 ffr.
Classification : Tous publics

Ce coffret comporte les films Les Amants crucifiés (chikamatsu monogatari) (D’après la pièce de Monzaemon Chikamatsu. Lion d’argent. Festival de Venise 1955) ; L’intendant Sansho (sanshô dayù) (D’après le récit de Ogai Mori. Lion d’argent. Festival de Venise 1955) ; L’Impératrice Yang Kwei Fei (yôkihi) (Lion d’argent. Festival de Venise 1956) ; Le Héros sacrilège (shin heike monogatori) (D’après le roman de Eiji Yoshikawa).

Version : DVD 9 / Zone 2
Format vidéo : 4/3
Format image : 1.37
Format audio : Japonais. Mono.
Sous-titres : Français

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Le Héros sacrilège

1137, Kyoto. La capitale du Japon de l’époque est en crise. D’un coté, le clan Fujiwara occupe les hautes fonctions de l’Etat, mais reste impuissant devant le désordre, la famine et l’émeute. De l’autre coté, un ex-empereur, retiré dans un monastère, décide de reprendre le pouvoir, usant des croyances comme d’une arme. La Cour Impériale fait appel aux Samouraïs, guerriers professionnels, mais d’un rang inférieur. Furieux du manque de considération fait à son père après son retour des mers de l’Ouest, Kiyomori Taïra, fils de Samouraï, se révolte contre la Cour. Bientôt une zone d’ombre traverse sa fierté de fils de Samouraï. Le voici face à des révélations sur sa naissance et le passé de courtisane de sa mère : la samouraï n’est pas son père naturel. Est-t-il le fils d’un ancien empereur, est-t-il le fils d’un moine défroqué ? Kiyomori Taïra est en colère contre le silence de ses parents. Mais, un complot se prépare contre son père…

Le Héros sacrilège est le deuxième film en couleur de Mizoguchi et son avant-dernier film. Il lie théâtre historique, avec la description d’une confusion politique dans le Japon du XII ème siècle, et parcours classique d’un protagoniste, un jeune fils de Samouraï, dans ses épreuves et son affirmation de Héros osant s’opposer aux forces politiques et religieuses : « Nobles et partisans, amusez-vous bien. La fin de votre règne approche. Demain nous appartient ». Kiyomori osera détruire des idoles avec ses flèches.

Fresque historique, avec ses grands plans d’ensembles et ses nombreux figurants, avec ses descriptions de luttes du pouvoir, ses longues processions de moines, et son portrait d’un homme révolté en lutte contre tout pouvoir, Le Héros sacrilège est œuvre politique scrutant l’ordre social. C’est aussi un film poétique, avec une violence sourde, une théâtralisation des processions, des cérémonies, des conciliabules de cour ou de clan. Plans d’ensemble, plans de plein pied, plans moyens mais pas de plans serrés ou de gros plans. La mise en scène laisse la place au corps tout entier dans son action, son immobilité, son rituel des affrontements, marquant une retenue dans l’expression des affects. Film poétique, donc, par le jeu des couleurs et des étoffes, le jeu de glissement temporel par des retours en arrière, le jeu des lumières, la dramatisation de l’espace et le sens esthétique, les subtils plan-séquence alternant avec des plans fixes…


Les amants crucifiés

Japon, 1684. Ishun, un riche fabricant, dirige sa maison avec autorité, refusant de prêter le moindre argent aux membres de sa famille. Sa jeune femme Osan l’a épousé quelques années auparavant pour sauver sa famille de la ruine. Un jour, le frère et la mère de Osan viennent la supplier de demander de l’aide à son mari : des dettes de jeu risquent de déshonorer une nouvelle fois la famille. Mais le mari est intraitable et Osan se confie à Mohei, un jeune calligraphe, qui contrôle également les comptes de la boutique. Mohei accepte de faire un faux pour prêter à Osan la somme d’argent, en secret de son mari. Leur relation est marquée du respect d’un employé pour la femme de son maître. Ce jour-là, on a vu passer dans la rue une procession, un couple adultère condamné à la crucifixion.

Le début des Amants crucifiés est un récit d’intérieur, où Mizoguchi joue, avec simplicité, d’une extrême précision de la mise en scène. Il compose l’espace en s’appuyant sur l’architecture intérieure des habitations japonaises : cloisons, tatamis, portes coulissantes, couloirs. Il met en scène la domination masculine du maître, le poids de la tradition, les relations hiérarchiques, par la mise en scène des corps (avances à l’une de ses servantes du maître allongé sur sa couche, prosternation des employés pour saluer le maître qui passe…).

Mohei donc accepte de faire un faux, mais bientôt, pris de remords, il se jette aux pieds du maître. Osan s’élance pour avouer à son tour, mais une servante, amoureuse de Mohei fait porter l’origine de la faute sur elle. Mohei est enfermé, il s’enfuit. Dans la nuit, il croise Osan, qui elle aussi fuit. Elle a appris les avances du maître sur sa servante, elle refuse la soumission. « Je veux m’en aller loin d’ici et toi, où veux-tu aller ? ». Osan veut partir avec Mohei, il lui rappelle le jugement des amants à Osaka. Subtils conflits intérieurs, mises en scène sous la lumière de la lune, après la traversée d’une rivière, où, première proximité des corps, Mohei a porté Osan.

« Que le sort des humains est donc étrange. Un changement radical en un seul jour ! ». Les mots d’Osan, complainte poétique, comme imprégnée du chant d’un chœur de tragédie, disent la transformation du récit. C’est maintenant la fuite des amants à travers le pays et la nature. Amants pudiques, où les sentiments sont encore cachés : Mohei refuse de partager la couche d’Osan, dans une auberge. Dans les maisons respectives des deux membres du couple, on s’inquiète pour l’honneur de chaque famille, on espère un suicide silencieux qui ne troublerait pas l’ordre public.

Mohei et Osan errent sur la route, fuyant les contrôles. Bientôt, en un instant de désespoir, la jeune femme refuse d’être une éternelle fugitive. Supplications, pleurs, nuit, lumière lunaire, glissement d’une barque sur l’eau, préparation du suicide des amants… « Etes-vous prêtes ? ». Elle pose sa main sur son épaule. Il enroule une corde autour de son corps. « Je vous ai toujours aimé de tout mon être. Vous m’en voulez ? ». Ultime parole ? « Ton aveu change tout, je veux vivre ! ». Magnifique mise en scène des aveux amoureux, au moment même d’une tension tragique, dans un basculement qui laisse surgir les sentiments. Superbe oscillation dramatique entre drame et espérance.

Alors, le couple repartira sur la route, sera recueilli dans la forêt (importante thématique de la forêt comme lieu de la fuite, chez le cinéaste : cf. par exemple Le héros sacrilège) par une vieille, cherchera refuge chez le père de Mohei, car de partout des hommes les cherchent, envoyés en secret des autorités par le mari, qui craint le déshonneur et ses conséquences commerciales. Les amants sont arrêtés, séparés, se retrouvent, s’étreignent pour être trahis au final, par leurs proches.

Dans la rue une procession, un couple adultère condamné à la crucifixion, Mohei et Osan.

Avec la mise en scène de ce fait-divers, Mizoguchi suggère l’aliénation tragique des amants, filmés toujours avec pudeur, pris au piège de la tradition, du souci des apparences, des complots pour le pouvoir ou pour l’argent, pris au piège de la société.


L’impératrice Yang Kwei Fei

Dans la pénombre d’un couloir entouré de colonnes de marbre, deux hommes du palais s’avancent, traversent un appartement luxueux, s’approchent d’un vieil homme, immobile et courbé, qui regarde par la fenêtre, qui écoute le bruit de la ville. En fond sonore, discrète et mélancolique, la musique d’un luth. C’est un lent plan séquence, comme une première complainte. Nous sommes en Chine, au VIIIème siècle et l’empereur Huang Tsung refuse de se soumettre à la volonté de son fils qui lui ordonne de changer de palais. D’entrée, des sous-titres signalent l’atmosphère de fin de règne et l’existence d’une grande histoire d’amour, des années auparavant, entre l’empereur Huang Tsung, alors à son apogée, et Kwei Fei, éblouissante beauté de Chine.

« Ma bien-aimée, où es-tu ? ». Devant une statue de son ancien amour, l’empereur se souvient… Inconsolable après la mort de sa première épouse, il préférait la compagnie d’un luth et de sa musique triste. « Je veux transposer le paysage en musique », dit l’empereur mélancolique. Un jour, un intriguant, le général Lu-Shan lui présente Yang, une servante des cuisines du palais, qu’on a coiffée, maquillée, parée de magnifiques habits. Le général espère lui faire prendre la place de la défunte et en tirer une récompense. Consciente d’être le jouet de sa famille et du général, la jeune femme gagne pourtant l’amitié de l’empereur, puis son amour. Elle devient l’impératrice Yang Kwei Fei.

Premier film en couleur du cinéaste, L’impératrice Yang Kwei Fei mêle donc, de façon classique, intrigue amoureuse et intrigue politique. Dépassé par les lois, qu’il a lui-même faites, « des lois qui ne devraient exister que pour le bien des gens », fuyant les intrigues et les complots, l’empereur préfère s’échapper dans la ville, en compagnie de Yang. Libre, incognito, il découvre la vie du peuple, traverse des danses et des instants simples. De somptueux plans d’ensemble donne à voir la multitude de la foule, ici dans des instants heureux. Huang Tsung trinque en compagnie d’ivrognes, emprunte un luth, s’assied au milieu de la foule et joue. Yang danse. Dénonciation de la noirceur du pouvoir par effet de contraste.

Mais la révolte peut éclater d’un moment à l’autre. La famille de Yang est dénoncée pour son enrichissement personnel, la révolte du peuple gronde, des nouveaux chefs se lèvent. Après l’utopie politique et la traversée joyeuse et humaine du petit peuple, initiée grâce à l’histoire d’amour, le récit glisse vers le drame politique, brisant le lien entre l’empereur et Kwei Fei : celle-ci est répudiée pour avoir voulu se mêler de politique.

Le final est de toute beauté, nouant conflits politiques et amoureux, car, en souvenirs des heures heureuses passées au milieu de la fête populaire, l’empereur et Kwei Fei se sont retrouvés. Mais le peuple réclame un sacrifice. Les plans d’ensemble d’hommes en arme ont remplacé les plans d’ensemble d’une foule heureuse et dansante. Le récit historique s’imprègne du mythe et de la tragédie. « Cette mort m’apportera-t-elle la paix de mon peuple ? », s’interroge l’empereur. Conflit éternel et tragique du pouvoir et de l’amour. Alors, dans quelques plans épurés à pleurer, Mizoguchi dessine le lent sacrifice de Kwei Fei. On pense au sacrifice de Anju, autre héroïne tragique du cinéma de Mizoguchi, dans L’intendant Sansho. On pense aux roulades sur le sol de la Mouchette de Bresson.

Le récit historique et amoureux de L’impératrice Yang Kwei Fei s’imprègne du mythe, du rite et de la tragédie. Dans de nombreux récits, le processus victimaire permet à une société l’expulsion de la violence et le retour à une cohésion sociale. Ici, le sacrifice de Kwei Fei est vain. La vision de Mizoguchi est sans transcendance. « Que ce monde est glacé ! » a dit le vieil empereur désabusé.


L’intendant Sansho

Japon, fin de l’ère Heian, XI ème siècle. Pour avoir soutenu des paysans, le gouverneur de Mutsu est condamné à l’exil. Sa femme et ses deux enfants partent sur la route. « Un homme sans pitié n’est pas un homme. Sois dur pour toi, généreux pour autrui. Tous sont égaux et ont droit au bonheur ». Ces mots, le gouverneur les a dits à son fils, comme un héritage à méditer. Les voilà seuls sur la route avec une servante dévouée, ne sachant où dormir, ne sachant que manger. Un soir qu’ils fabriquent un abri de fortune et s’apprêtent à dormir dehors, une vieille les abrite, une vieille qui les trahit : le lendemain, la famille tombe aux mains des pirates, les enfants sont séparés de leur mère. La scène est montrée, dans sa violence, dans une mise en scène très découpée et nerveuse. L’errance sur les chemins, auparavant, était filmée avec un tempo lent dans une beauté simple des plans d’ensemble et de la nature traversée. Le cinéma comme jeu de rythmes, avec toujours chez Mizoguchi, le sens du détail, ici, l’indice au fond du plan qui indique la trahison.

Les deux enfants, Zushio et Anju, sont vendus comme esclaves au terrible intendant Sansho. Ils découvrent la dureté de cette vie misérable, les sévices corporels infligés à ceux qui tendent de s’échapper. Zushio et Anju se font la promesse de savoir patienter pour fuir un jour. Les années passent, matérialisées à l’écran par une ellipse sèche. Zushio et Anju sont de jeunes adultes et leur ancienne promesse semble bien loin. Contaminée par la violence de Sansho, réduit à un état d’obéissance, Sushio marque au fer rouge le front d’un esclave rebelle.

Un jour, pourtant, le frère et la sœur sont chargés d’emporter une vieille femme gémissante loin du camp pour l’abandonner à sa mort, dans la forêt. Un trouble a saisi les deux jeunes gens, comme un appel lointain, une complainte, celle de leur mère. C’est l’occasion inespérée. Anju, trop faible pour une fuite éprouvante, pousse son frère à partir. Terrible geste de sacrifice de Anju, qui refusera d’indiquer la cachette de son frère. Sushio se réfugie dans un temple, lieu sacré, hors du temps et de la violence des hommes.

Comme le protagoniste du Héros sacrilège, Sushio est un homme révolté. Il réussit à pénétrer chez le ministre pour décliner son identité de noble. Nommé gouverneur, Sushio promulgue une loi interdisant l’esclavage et se rend au camp de Sansho pour affranchir tous ses anciens compagnons et demander pardon à l’homme marqué au fer rouge. L’enfant s’est souvenu des mots du père. Et là est l’une des beautés du film : son acte d’humanité héroïque et politique accompli, ayant appris la mort de sa sœur, Sansho donne sa démission du poste de gouverneur et part, sur les chemins, à la recherche de sa mère… Le film, fable politique et geste poétique, se clôt alors sur une étreinte poignante au bord de l’eau, dans une complainte du temps.


Une pléiade de bonus

Les quatre films de ce coffret sont accompagnés d’un formidable Dvd bonus. Batons d’encens pour Mizoguchi, film de Noël Simsolo, guide et responsable éditorial de ce coffret, parcourt l’œuvre du cinéaste japonais à travers les témoignages de critiques, de cinéastes, d’extraits commentés de films : Bonitzer, Brisseau, Chabrol, Collet, Deleau, Doillon, Frodon, Hasumi, Narboni, Tesson. La pensée critique est frottements, hétérogénéité. Chacun lance des pistes de lecture, chacun traverse sa propre cinéphilie, sa propre vie, sa propre vision de cinéaste ou de critique. Mizoguchi : cinéaste érotique ; cinéaste naturaliste inspiré de Maupassant ; cinéaste du mélodrame, tendu, dissonant, acéré ; interrogateur du sacré (mouvement, destruction, violence) ; cinéaste du réalisme implacable proche de Rossellini (ordre social, oppressions sociales, rites, convenances, hiérarchies) ; indissociable de Bergman dans sa recherche d’un temps de l’art pur ; cinéaste des femmes… On admirera comment le commentaire de Mizoguchi retrouve l’œuvre et les thèmes personnels des cinéastes interrogés : Chabrol parle de cruauté, Brisseau d’une utilisation des paysages proches de John Ford, dans un caractère mystique, Doillon reste proche de l’affect…

Notons en passant l’extrême souci (cadre, lumière, décors) de la captation de ces témoignages (ce qui n’est pas toujours le cas sur les bonus Dvd !). Un long entretien, au coin d’une table, avec Jean Douchet, figure savante de la cinéphile française, complète l’itinéraire d’analyse.

Chaque film est accompagné d’une présentation précise, situant le film dans l’œuvre et la trajectoire artistique de Mizoguchi. On trouvera aussi une galerie de photos de plateaux, une galerie d’affiches de films et une galerie de dessins de Hiroshi Mizutani, chef décorateur de nombreux films du cinéaste japonais.

Du bel ouvrage d’éditions Dvd !


Benoît Pupier
( Mis en ligne le 27/09/2004 )
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