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Allemagne, mère blafarde
avec Rainer Werner Fassbinder
Carlotta Films 2005 /  59.99  € - 392.93 ffr.
Classification : Tous publics

Le prix DVD 2005 a été attribué à ce coffret

Version : DVD 9/Zone 2
Format vidéo : 4/3
Format image : 1.33
Format audio : Allemand (Dolby mono, 2.0)
Sous-titres : Français, néerlandais

Le même éditeur a également sorti le coffret de La Trilogie allemande, qui comporte : Lola, une femme allemande, Le Mariage de Maria Braun et Le Secret de Veronika Voss.

Les Larmes amères de Petra von Kant
Avec : Margit Carstensen, Hanna Schygulla, Irm Hermann
Durée du film : 120 mn
Durée du DVD : 168 mn
Sortie Cinéma, Pays : 1972, Allemagne
Titre original : Die bitteren tränen der Petra von Kant
Bonus :
Conversation avec RW. Fassbinder, entretien de R.W. Fassbinder avec Peter W. Jansen (1978)

Tous les autres s’appellent Ali
Avec : Brigitte Mira, El Hedi Ben Salem, RW. Fassbinder, Irm Hermann
Durée du film : 90 mn
Durée du DVD : 181 mn
Sortie Cinéma, Pays : 1973, Allemagne
Titre original : Angst essen seele auf
Bonus :
Le Bouc (Katzelmacher, film en noir et blanc de 1969)
Bande annonce de Tous les autres s’appellent Ali
Bande annonce du Bouc

Le Droit du plus fort
(interdit au moins de 12 ans)
Avec : R.W. Fassbinder, Peter Chatel, Karl Heinz Böhm
Durée du film : 118 mn
Durée du DVD : 223 mn
Interdit aux moins de 12 ans
Sortie Cinéma, Pays : 1974, Allemagne
Titre original : Faustrecht der freiheit
Bonus :
Je ne veux pas seulement qu’on m’aime, documentaire de H.G. Pflaum (1993)
R.W.F dans les archives de l’INA, interview de R.W. Fassbinder réalisé en 1975
Bande annonce du Droit du plus fort

Maman Küsters s’en va au ciel
Avec : Brigitte Mira, Ingrid Caven, Margit Carstensen, Karl Heinz Böhm, Irm Hermann
Durée du film : 102 mn
Durée du DVD : 198 mn
Sortie Cinéma, Pays : 1975, Allemagne
Titre original : Mutter Küsters’ fahrt zum himmel
Bonus :
Fin alternative
Le Voyage à Niklashausen (Die Niklashauser fart, film de 1970)

La Troisième génération
Avec : Hanna Schygulla, Eddie Constantine, Margit Carstensen, Volker Splenger
Durée du film : 104 mn
Durée du DVD : 175 mn
Sortie Cinéma, Pays : 1979, Allemagne
Titre original : Die dritte generation
Bonus :
Allemagne en automne (Deutschland im herbst), sketch de 1978
Le Petit chaos (Das Kleine chaos, court métrage de 1967
Fassbinder politik, entretien avec la journaliste Heike Hurst (2005)
Bande annonce de La Troisième génération
Bande annonce d’Allemagne en automne

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Le choix des cinq principaux films de R.W Fassbinder contenus dans ce coffret, tournés entre 1972 et 1979, cerne les différentes facettes de l’œuvre du cinéaste : la théâtralité des Larmes amères de Petra von Kant , le réalisme social de Tous les autres s’appellent Ali et du Droit du plus fort, et le côté plus politique de Maman Küsters s’en va au ciel et de La Troisième génération. De nombreux thèmes récurrents, reflétant les obsessions du cinéaste, émaillent ces films et participent à dresser un portrait impitoyablement perspicace de la société allemande de l’après Seconde Guerre mondiale, qui loin d’avoir chassé ses vieux démons, les a entretenus de façon sournoise.

« Je cherche en moi où je suis dans l’histoire de mon pays, pourquoi je suis allemand», par ses propos Fassbinder explicite le rapport complexe et passionnel qui le lie à son pays natal. Ambitionnant de devenir le chroniqueur de l’époque de la R.F.A, il réalise notamment Maman Küsters s’en va au ciel, où il dénonce la récupération de la misère sociale et de la lutte des classes par des organisations politiques. Apprenant son probable licenciement, Hermann Küsters, un ouvrier d’une usine chimique de Francfort, tue dans un geste de désespoir, le fils de son patron et se suicide. Sa veuve (Brigitte Mira), son fils et sa fille (Ingrid Caven) sont immédiatement harcelés par des journalistes de presse à scandales. Délaissée par ses enfants, Madame Küsters trouve un réconfort auprès d’un couple de militants communistes qui souhaite ériger son mari en martyr de l’exploitation de la classe ouvrière. Cependant, devant l’inertie du Parti Communiste Allemand en pleine campagne électorale, elle se laisse enrôler par un groupuscule d’extrême-gauche aux méthodes plus radicales.

Les terroristes de La Troisième génération, comme ceux de Maman Küsters s’en va au ciel, revendiquent la libération de prisonniers politiques, et sont peints de façon toute aussi grotesque. Le cinéaste porte un regard sarcastique sur l’immaturité de ces trentenaires bourgeois qui dérivent vers le terrorisme et la clandestinité par désoeuvrement et frustration. Dans le documentaire Fassbinder politik, la journaliste Heike Hurst explique que cette troisième génération succède à celle des idéalistes de mai 1968 en voulant adopter la même dérive criminelle que la seconde qui l’a précédée. Fassbinder anticipe cette désillusion qui va suivre l’échec du mouvement étudiant, dans Le Voyage à Niklashausen (1970). Ce film basé sur des faits historiques datant de 1476, où un berger affirme à avoir vu la Vierge et exhorte la population à se révolter contre le pouvoir féodal, décrit la naissance des idées sociales et révolutionnaires, mais aussi le désenchantement qui suit les tentatives de changement. Un texte en exergue présente La Troisième génération comme : « une comédie en six parties, sur des jeux de sociétés pleins de suspense et de logique, d’horreur et de folie, comme des contes qu’on raconte aux enfants pour les aider à supporter leur vie jusqu'à leur mort. » . Fassbinder y oppose le cynisme, la manipulation des pouvoirs à l’utopie puérile de ces apprentis révolutionnaires, et tourne en dérision l’action terroriste de ces grands enfants qui agissent sans idéaux politiques et ni sociaux.

Si le cinéaste choisit de traiter un sujet brûlant, tel que le terrorisme d’extrême-gauche qui sévissait en Europe dans les années soixante-dix, avec un humour corrosif et provocateur, il n’en est pas toujours de même. L’épisode, Allemagne en automne (1978), issu d’une série de films réalisés par de jeunes cinéastes du Nouveau Cinéma Allemand, tels que Alexander Kluger, Volker Schloendorff et Edgar Reitz, s’est tourné à chaud en réaction aux événements de l‘automne 1977. Allemagne en automne débute par des images d’archives de l’enterrement du président du patronat allemand (un ancien S.S. ayant occupé de hautes responsabilités sous le IIIe Reich) enlevé et exécuté, en septembre 1977, par un commando qui exigeait la libération de onze prisonniers de la R.A.F.. Fassbinder décrit également les événements qui ont suivi, en octobre de la même année, avec le détournement d’un avion de la Lufthansa à Mogadiscio par des terroristes palestiniens, puis l’exécution sous forme de suicides de trois membres de la Bande à Baader, dans leur geôle allemande. L’épisode de Fassbinder, le plus personnel de tous, oscille entre fiction et réalité dans une mise en scène de sa vie où interviennent sa mère et son ami. Fassbinder perturbé par le renforcement des pouvoirs répressifs, au nom de la lutte contre le terrorisme, sombre dans la paranoïa, submergé par l’angoisse que provoquent ces lois d’exception sur son esprit libre. Le cinéaste mène une réflexion sur une démocratie qui s’est bâtie sur des structures et par des hommes issus de l’époque nazie. Il développe ici une thématique qu’il abordera dans de nombreux films, à savoir qu’un homme qui a peur peut être facilement manipulable. Sa sentence : « La terreur ne sert jamais la population, elle sert toujours l’état, et l’état a toujours besoin d’un ennemi pour affronter ses crises intérieures. » résonne de façon très actuelle à notre époque où certaines démocraties brandissent la menace terroriste, et la peur qu’elle engendre, pour annihiler les libertés individuelles. Fassbinder jette un regard lucide sur une Allemagne conformiste prise entre une culpabilité liée à son passé nazi et le radicalisme du terrorisme particulièrement sanglant à l’instar de celui qui se pratiquait à la même époque en Italie et au Japon, les deux autres puissances de l’Axe durant la Seconde Guerre mondiale. Lorsque Fassbinder évoque les appréhensions qui l’ont fait quitter l’Allemagne, il parle de « l’infamie d’octobre 1977» relatée dans Allemagne en automne, et d’une période de régression empêchant les créateurs de jouir d’une totale liberté.

Malgré ces critiques socio-politiques acerbes, Fassinber a su montrer sans didactisme, et avec humanité, le vrai visage arboré par l’Allemagne depuis le mirage économique de l’après guerre, tout en accomplissant un travail de dénonciation des tabous et du conformisme. Dans Tous les autres s’appellent Ali, une histoire d’un amour impossible telle que la présente la bande annonce, Fassbinder fustige le racisme et l’exclusion. Emmi Kurowski (Brigitte Mira), veuve d’une cinquantaine d’années, entre pour s’abriter de la pluie dans un bar fréquenté par des travailleurs émigrés et rencontre Ali (El Hedi Ben Salem), un marocain plus jeune qu’elle. Ces deux êtres solitaires, qu’a priori tout sépare, vont s’unir malgré la désapprobation de leurs communautés respectives qui s’ingénieront à les séparer. Entre commérages et jalousies, sur fond de racisme ordinaire, le cinéaste rend palpable le climat délétère qui entoure le couple, et visite ses thèmes de prédilection, tels que la solitude, la mesquinerie d’une société en proie à la peur, et le rejet de l’autre considéré comme un paria.

A l’instar de ce film, dont le titre se traduit littéralement par « Peur manger âme », car pour certains allemands les étrangers sont sensés parler comme cela leur langue, le second long métrage de R.W. Fassbinder, Le Bouc (1969), met également en scène un marginal. L’arrivée d’un travailleur émigré grec (interprété par le cinéaste) bouleverse les rapports d’un petit groupe d’amis désoeuvrés. Leurs préoccupations et leurs craintes se focalisent sur lui, et les rumeurs à son sujet enflent. La citation d’introduction de Yaak Karsunke (un ami de Fassbinder, également auteur et acteur allemand), « Mieux vaut faire de nouvelles erreurs que de mener les anciennes à un état d’inconscience généralisée », traduit l’état de conservatisme d’une partie de la société allemande où les jeunes adoptent une intolérance similaire à celle de leurs aînés.

Ses positions radicales, et non sujettes à caution, ne l’ont pourtant épargné d’être taxé de « fasciste de gauche » et d’antisémitisme. Il a, notamment, subi des attaques après sa pièce sur Francfort, Les Ordures, la ville et la mort, et parce qu’il souhaitait adapter des romans de Gustav Freytag. Fassbinder a regretté que ses intentions aient été mal interprétées en opposant à ses détracteurs son travail prouvant que ces accusations n’étaient pas fondées. Fassbinder qui est né en 1945 (le Centre Pompidou présente une rétrospective intégrale de son œuvre à l’occasion du 60ième anniversaire de sa naissance, d’avril à juin 2005) n’a jamais occulté le passé nazi de l’Allemagne, bien au contraire. Il y fait référence de façon allusive dans Tous les autres s’appellent Ali, quand Emmi raconte que son mari n’a jamais été accepté par son père qui avait appartenu au parti nazi (ce qui ne l’empêche de prendre son repas de noces dans la taverne où Hitler venait manger lorsqu’il habitait Munich) ou, de manière explicite, lorsqu’il réalise des films sur l’immédiate après guerre, tels que Lola, une femme allemande, Le Mariage de Maria Braun et Le Secret de Veronika Voss.

Le cinéaste reste, malgré tout, en phase avec son époque et l’histoire immédiate, en réagissant à des événements contemporains. Celui du terrorisme et de la manipulation du pouvoir dans Allemagne en Automne et La Troisième génération, l’allusion à la guerre du Vietnam et aux Black Panthers dans Le Voyage à Niklashausen, tandis que le héros de Tous les autres s’appellent Ali constate que l’Allemagne est encore plus raciste après la catastrophe de Munich (en référence à l’assassinat d’athlètes israéliens par un commando palestinien lors des Jeux Olympiques de Munich en 1972). Dans Le Droit du plus fort, il démontre que la lutte des classes ne s’applique pas seulement sur le plan politique, mais aussi dans les rapports humains avec un dominant et un dominé. Un antiquaire Max (Karl Heinz Böhm) présente Eugen à un jeune forain, Fox, qui vient de gagner une grosse somme d’argent à la loterie. Fox, impressionné par son raffinement et ses bonnes manières, se laisse embobiner et tombe éperdument amoureux de son nouvel amant, qui profitera de son aveuglement et de sa naïveté pour le dépouiller de tout ses biens. Le cinéaste réalise l’un des premiers films où l’homosexualité n’est pas traitée comme un problème car ce qui est primordial pour lui est de démontrer que les rapports sociaux restent les mêmes quel que soit le milieu. Dans cette réactualisation du concept du maître et de l’esclave, Fassbinder interprète Fox pour mieux mettre en avant les barrières sociales sans tomber dans une caricature du milieu homosexuel. Son cinéma anticonformisme critique une époque qui tend à la normalisation et à l’homogénéisation en débusquant les tabous mais sans chercher le scandale (les corps des hommes sont ainsi filmés de manière naturelle loin de l’onirisme de ceux d’un Chant d’amour (1950) de Jean Genet).

La dépendance affective et financière, également évoquée dans Le Bouc, se retrouve dans Les Larmes amères de Petra von Kant. Séparée de son mari, la styliste à la mode, Petra von Kant (Margit Carstensen), vit dans un décor intemporel, mêlant vêtements des années 30 à des accessoires contemporains. Cette aristocrate indépendante, aisée et cultivée, tombe amoureuse d’une jeune femme de condition modeste mais ambitieuse, Karin (Hanna Schygulla). Petra l’aide à devenir mannequin, et devient son Pygmalion, sous le regard de Marlene (Irm Hermann). Ce témoin silencieux, et assistante entièrement dévouée à sa patronne, rappelle par bien des aspects l’inquiétante gouvernante de Rebecca d’Alfred Hitchcock. Les deux femmes vivent une liaison tumultueuse, et un jeu de dupes s’instaure entre elles. Le rapport dominant/dominé s’inverse, Petra passe de sa condition de femme libre à celle d’une femme soumise, sous la coupe de Karin qu’elle aime passionnément. Fassbinder pointe l’oppression, l’humiliation, la manipulation, la solitude et les dogmes de la société qui régissent les rapports humains impliquant que selon lui : « Celui qui aime le plus, ou qui tient le plus à l’amour, qui est le plus dépendant, perdra toujours. Celui qui a le moins de sentiments a plus de pouvoir. » Il s’interroge sur les difficultés de vivre ensemble et sans les autres en déplorant : «[...] que l’homme a besoin des autres, mais il n’a pas appris à vivre ensemble. »

Adapté d’une pièce du cinéaste, ce huis-clos en trois actes est empreint d’une recherche esthétique et formelle, à l’image d’une des dernières scènes, où les personnages se figent autour de Petra en un tableau vivant qui répond à la reproduction picturale sur le mur. Cette affirmation d’une théâtralité, ainsi que l’influence du théâtre, sont manifestes dans la production cinématographique de Fassbinder. Il fut en 1967 à l’origine du collectif, L’Action-Theater, dont le groupe s’est dissout en mai 1968 après la première de sa pièce Le Bouc, puis de la création de l’Antiteater (troupe avec laquelle il tourna ses premiers films). Jusqu’en 1976, le cinéaste a ainsi mené une carrière parallèle entre le cinéma et le théâtre, écrivant et mettant en scène de nombreuses pièces de théâtre. Certaines de ses pièces furent également adaptées au cinéma par d’autres, notamment Gouttes d’eau sur pierres brûlantes par François Ozon.

Le jeu des acteurs peut paraître parfois trop théâtral, comme celui assez outrancier de Margit Cartensen dans Les Larmes amères de Petra von Kant. La référence au théâtre est aussi allusive, dans La Troisième génération cette même actrice parle de la dernière pièce de Botho Strauss, Grand et petit », qui est une description amère du conservatisme allemand à travers le portrait d’une femme poussé à la marginalisation. Le lien, entretenu par Fassbinder avec le théâtre, est cependant plus profond, notamment dans l’exploitation de la thématique relationnelle, emblématique de toute représentation théâtrale, des rapports entre maîtres et valets, sujet de la pièce de Bertold Brecht Maître Puntila et son valet Matti. Le cinéaste la transpose dans une jungle urbaine en analysant les relations qui se créent au sein du couple, dans le travail ou entre les enfants et leurs parents. Sa manière de filmer s’apparente de la même façon à la distanciation brechtienne dans la création d’un intervalle entre les événements et le spectateur. De nombreuses scènes, filmées entre le chambranle des portes, permettent au spectateur de se placer en témoin extérieur et de conserver sa liberté critique. Cette restriction visuelle n’appelle pas le hors champ et limite l’espace, ce qui entraîne peu de plans généraux, afin de traduire l’état d’une société sclérosée, étroite d’esprit et repliée sur elle-même. Le théâtre s’inscrit également dans sa relation au texte et aux acteurs, constitués en une véritable troupe, que l’on retrouve d’un film à l’autre. Après des répétitions et des discussions, et afin d’augmenter la concentration des comédiens, Fassbinder ne réalise si possible qu’une prise unique. Le Voyage à Niklashausen comporte une scène où Hanna Schygulla répète son texte devant un miroir tandis que Fassbinder de profil lui donne des indications sur le ton à adopter. Si le mot «prise» revêt une valeur morale pour le cinéaste, qui filme toujours avec intensité et conviction, cela ne l’empêche pas d’utiliser plusieurs angles pour tourner une scène, et de recourir à un vocabulaire cinématographique étendu afin de créer un sub-texte aux images.

Les influences du cinéaste sont théâtrales mais aussi en grande partie cinématographiques. Si Douglas Sirk, pour lequel il tourna dans son dernier film Bourbon street blues, reste sa référence suprême, les personnages de femmes des films de Joseph von Sternberg l’ont aussi inspiré. L’œuvre de Jean-Luc Godard a également fortement imprégné celle de Fassbinder qui a adopté son concept de tourner vite et beaucoup de films en liens avec des événements contemporains. Ses premiers courts métrages, dont Le Petit chaos (1967), se placent sous l’influence de Jean-Luc Godard. Dans cette histoire, où trois acolytes cambriolent un appartement, comme ceux de Bande à part, Fassbinder expérimente une forme d’anti-narration, au même titre que sa troupe de théâtre se nommera l’Antiteater. Son deuxième long métrage, Le Bouc, avec une alternance de plans fixes (à la Straub) et des bruits de rue, présents même dans les scènes intérieures, induisent un style novateur pour l’époque, découlant des expérimentations de la Nouvelle Vague française. Le curieux mélange qui résulte du Voyage à Niklashausen s’inspire du style de Jean-Marie Straub, de Philippe Garrel, et surtout de One plus one (1968) de Jean-Luc Godard. On retrouve en effet les mêmes allusions à la guerre du Vietnam (le nouveau messie est arrêté par des GI’s), au Black Power (le discours militant d’un homme noir contre les violences policières s’entremêle avec la voix de Shygulla), ainsi que la reprise du décor de cimetière de voitures pour la scène finale. Fassbinder parle de l’actualité politique et sociale à travers des destinées individuelles en reprenant également des thèmes chers à Jean-Luc Godard, tels que la prostitution, la manipulation par les pouvoirs et la recherche de la vérité. Dans La Troisième génération, au policier qui se remémore une scène de Solaris d’Andreï Tarkovsky, le personnage, interprété par Eddie Constantine, lui rétorque une citation détournée du Petit soldat de Jean-Luc Godard : « Le cinéma, c’est le mensonge 25 fois par seconde. Et comme tout est mensonge, c’est aussi la vérité. »

L’œuvre et la vie de R.W. Fassbinder, à l’instar de celles de Jean-Luc Godard ou de John Cassavetes, se confondent. Il joue ainsi dans plusieurs de ses films, s’allouant de petites interventions dans Le Bouc et Tous les autres s’appellent Ali, apparaissant, en clin d’œil à Hitchcock, sur la photographie d’un magazine dans Les Larmes amères de Petra von Kant ou interprétant les premiers rôles dans Le droit du plus fort et Allemagne en automne. Le réalisateur aime aussi s’entourer de la même équipe de techniciens et d’acteurs. La troupe, qui comprend parfois des intervenants de passage et côtoie des non-professionnels comme la mère du cinéaste, compte entre autres Ingrid Caven (qui fut également sa femme), Hanna Schygulla, Irm Hermann ou Karl Heinz Böhm. Fassbinder travaille avec spontanéité et instinct, manifestant un besoin urgent de raconter des histoires et laissant sa vie inspirer ses films : « Ce que je fais, c’est une complication de ma vie ». Pour cet auteur très prolifique, qui réalisa près de 40 films avant de décéder à l’âge de 37 ans d’une attaque cérébrale, le cinéma reste un moyen de supporter les conditions d’une existence «qui nous apparaît dépourvue de sens, fade, inutile, vide et inhumaine» (selon les dernières paroles prononcées dans Le Voyage à Niklashausen), et constitue un appel à la vivre pleinement. Dans La Troisième génération, à son assistante qui regarde Le Diable probablement de Robert Bresson, le chef d’entreprise, joué par Eddie Constantine, lui confie que : « tant que les films sont tristes, la vie reste gaie .»

R.W. Fassbinder, sans militantisme ni didactisme, dresse un constat de la société en souhaitant réveiller les consciences pour convaincre tout un chacun de vivre à la hauteur de ses désirs. Dans son projet de recomposer l’Allemagne dans sa globalité, il offre un cinéma libérateur qui refuse la norme sociale, même si le cinéaste conçoit qu’il n’est pas possible de vivre en étant totalement anti-conformiste. Le côté novateur de son cinéma, entre cinéma social et critique politique, contribua à la vitalité du jeune cinéma allemand des années 70 au même titre que Wim Wenders, Wender Herzog ou Volker Schloendorff , et occupe dorénavant une place bien à part.

De nombreux suppléments, qui éclairent de façon efficace l’œuvre de ce cinéaste, se joignent en complément aux films. Parmi eux, Conversation avec R.W. Fassbinder (1978), livre un long entretien du réalisateur avec Peter W. Jansen qui dévoile une personnalité complexe et entière, mélange de pudeur, de nervosité et d’humanisme, tandis que le documentaire de H.G. Pflaum, Je ne veux pas seulement qu’on m’aime (1993), aborde de façon claire sa manière de travailler grâce à un montage d’interviews de proches et de collaborateurs.


Corinne Garnier
( Mis en ligne le 25/04/2005 )
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