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Films  ->  Drame  
Contre le gangstérisme verbal
avec Akira Kurosawa, Toshirô Mifune, Takashi Shimura
MK2 2005 /  29.97  € - 196.3 ffr.
Durée film 105 mn.
Classification : Tous publics

Ce coffret comprend également L’Idiot du même réalisateur

Sortie Cinéma, Pays : 1949, Japon
Titre original : Shunbun

Version : DVD 9/Zone 2
Format vidéo : 4/3
Format image : 1.33 (Noir & Blanc)
Format audio : Japonais (Mono)
Sous-titres : Français

Bonus :
Préface de Charles Tesson (5 mn)
Scènes commentées par Charles Tesson (20 mn)
Kurosawa, metteur en scène, entretien avec le critique de cinéma et scénariste : Nicolas Saada
Bandes annonces de la Collection Asie de mk2 (11 mn)

L'auteur du compte rendu : Sylvain Roux est professeur de Lettres Classiques dans les Alpes-Maritimes et auteur, chez L’Harmattan, de La Quête de l’altérité dans l’œuvre cinématographique d’Ingmar Bergman – Le cinéma entre immanence et transcendance

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L’histoire est apparemment simple : le Japon, en 1950, au lendemain de la capitulation et pendant l’occupation américaine ; Ichiro, un jeune peintre, rencontre par hasard la chanteuse Miyako ; un journal à scandale, Amour, publie leur photographie et prétend qu’ils sont amants ; indignés, les jeunes gens attaquent le magazine en justice, mais leur avocat, Hiruta, finit par se laisser corrompre par le directeur de publication du journal…

Un an avant Rashomon (1950) qui, avec le Lion d’or de Venise et l’Oscar du meilleur film étranger, lui apportera la reconnaissance internationale, Akira Kurosawa tourne Scandale, un film contemporain, au moment où le Japon vaincu subit une occupation américaine dont la contrainte s’étend au cinéma (l’occupant interdit les films historiques). Sensible à la brutale confrontation entre la société nipponne traditionnelle et le libéralisme occidental, le cinéaste entend protester contre les «scandaleux» excès d’une presse immorale qui, au nom de la liberté d’expression importée par les Américains, cherche à augmenter ses tirages au mépris du droit à la vie privée. Précisément, l’une des forces majeures de l’œuvre consiste en la «protestation», non pas essentiellement contre l’oppression de l’ennemi, mais contre les ravages de la permissivité démocratique qui ont accompagné l’introduction des idées libérales. Cette exceptionnelle acuité du regard de Kurosawa arrache Scandale au seul contexte de l’après-guerre japonais et lui confère, plus d’un demi-siècle après, une dimension visionnaire très impressionnante.

Grand admirateur du cinéma américain, le maître nippon rejoint (Citizen Kane (1941) d’Orson Welles), et anticipe (Le Gouffre aux chimères (1951) de Billy Wilder, Un homme dans la foule (1957) d’Elian Kazan, Network (1976) de Sydney Lumet) à la fois la tradition des longs métrages consacrés à la puissance montante et aux abus des media. En ce sens, sa charge contre la voracité des paparazzi et sa vision critique de la presse à scandale n’ont rien perdu de leur actualité et mettent en évidence le «gangstérisme verbal» qui, selon Kurosawa, serait le propre du laxisme moderne : l’avocat laisse entendre que la violence qui consiste à blesser et à avilir avec des mots caractérise l’époque contemporaine (Notons, à ce propos, que la photographie incriminée ne ment pas en elle-même tant qu’un commentaire mensonger ne vient pas publiquement attenter à la réputation de ceux qu’elle montre).

Mais le film ne se contente pas de présenter un réquisitoire contre ce qui deviendra le système médiatique : il révèle avec subtilité comment les rumeurs diffamatoires introduisent le doute dans les rapports entre une mère et sa fille, combien la plupart des gens, voyeuristes et friands de divulgations sulfureuses, font le succès de la presse à scandale. La condamnation du pouvoir outrancier des media s’accompagne aussi d’une sorte de conscience lucide du caractère désormais irrémédiable de leur omniprésence : la presse, qui est à l’origine de l’affaire, en retrace tous les rebondissements et suit le déroulement du procès jusqu’au verdict.

Cependant, le génie de Kurosawa, dans Scandale, ne peut se réduire à la pertinence de sa dénonciation de la violation moderne de la vie privée, au nom de la rectitude morale d’autrefois. L’entrée en scène du personnage de l’avocat Hiruta, joué par le merveilleux acteur Takashi Shimura (resté injustement dans l’ombre de Toshirô Mifune), en détournant le spectateur de l’histoire, fait basculer le récit vers le portrait d’une âme en perdition. A ce sujet, le réalisateur a confié comment son film a été vampirisé, à son insu, par le souvenir de sa rencontre avec un ivrogne, père d’une jeune fille malade et conscient de sa déchéance. Dès son apparition, l’avocat, petit homme grassouillet et à l’air ridicule, se singularise par son attitude étrange – il surgit, la nuit, dans la maison d’Ichiro tel un fou – et par son désarroi face à la modernité qu’il définit comme un «monde sans repères», «en pleine confusion» et où l’«on ne sait plus où est le bien, où est le mal». Une fois son personnage corrompu, Kurosawa recentre sa remarquable mise en scène sur les tourments de cet être déchu qui vit un véritable drame de la conscience. Hiruta incarne par là-même le personnage kurosawaïen par excellence : un individu faible et lâche dont la conscience de sa déchéance nourrit une lutte intérieure entre des valeurs contradictoires. L’extraordinaire force du film vient de ce que le point de vue adopté n’est jamais moralisateur ou didactique et de ce que, malgré sa duplicité, l’avocat reste profondément humain : sa détresse nous émeut parce qu’elle renvoie à un déchirement moral universel. Dans cette perspective, le procès prend une dimension quasi métaphysique : il en va moins du triomphe du droit à la vie privée que du salut d’un homme qui risque de perdre son âme, après avoir perdu son honneur et sa fille tuberculeuse.

Scandale ne figure pas parmi les films les plus connus du grand réalisateur japonais. Et pourtant, il s’agit d’un indéniable chef-d’œuvre qui condense toutes les obsessions d’Akira Kurosawa et qui manifeste toute l’étendue de sa maîtrise : outre la parfaite direction d’acteurs, la beauté plastique mise au service de la révélation progressive du drame moral est admirable, la composition des plans (en particulier, la scène où Hiruta devient le spectateur de son abaissement en observant la fête de Noël dans sa propre maison) est remarquable et le travail sur le son (notamment, les scènes du tribunal) est très élaboré. Il ne fallait pas moins d’une excellente édition en DVD – qui comprend une préface de Charles Tesson et un entretien du critique de cinéma Nicolas Saada tous deux passionnants – pour redécouvrir une œuvre tout simplement magnifique.


Sylvain Roux
( Mis en ligne le 31/01/2006 )
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