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Lang au Far West avec Fritz Lang, Randolph Scott, Virginia Gilmore, Robert Young Films sans frontières 2006 / 19.99 € - 130.93 ffr. Durée film 95 mn. Classification : Tous publics | Sortie Cinéma, Pays : Etats-Unis, 1941
Titre original : Western Union
Version : DVD 9/Zone 2
Format vidéo : 4/3
Format image : 1.33 (couleurs)
Format audio : Anglais mono
Sous-titres : Français
Bonus :
Les « Western Home Movies » de Fritz Lang
L'auteur du compte rendu : Professeur de Lettres Classiques dans les Alpes-Maritimes, Sylvain Roux est l'auteur, chez LHarmattan, de La Quête de laltérité dans luvre cinématographique dIngmar Bergman Le cinéma entre immanence et transcendance (2001).
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Si Fritz Lang (1890-1976) appartient au panthéon des génies du septième art, cest parce que son uvre incarne la magnificence du cinéma allemand sous la République de Weimar. La série des Docteur Mabuse (1922/1933), Les Nibelungen (1924), Métropolis (1926) et M le Maudit (1931) sont à juste titre considérés comme des chefs-duvre qui sinterrogent sur la culpabilité, la loi, le rachat et la liberté de lindividu dans un monde moderne à la dérive. Ces films, trop systématiquement rattachés au mouvement expressionniste, témoignent cependant, par leur fidélité aux enseignements du metteur en scène de théâtre Max Reinhardt et par leur dramaturgie fondée sur un jeu précis entre les ombres et la lumière, dune unité à la fois thématique et esthétique.
En revanche, la période américaine du cinéaste (1936-1956) apparaît plus disparate, plus insaisissable et est, de ce fait, souvent négligée, à quelques exceptions près. Or, ce caractère éclectique, loin de signifier un éclatement tous azimuts de la création langienne sous la pression des studios hollywoodiens, ressortit de lexceptionnelle capacité dadaptation du réalisateur exilé : autant il a été germanique en Europe, autant il est américain (dès 1935) aux Etats-Unis dont il assimile avec profondeur lHistoire et les mythes cinématographiques. Lang exprime ainsi sa vision personnelle à travers les genres les plus divers du cinéma dOutre-Atlantique : le drame judiciaire (Fury, 1936), le film despionnage (Chasse à lhomme, 1941), le film policier (La Cinquième victime, 1956), le film daventures historiques (Moonfleet, 1955) et
le western. Moins connues que les autres, les réalisations langiennes dans ce dernier genre révèlent également les obsessions fondamentales dun auteur qui, par-delà les frontières et les cadres génériques, a su construire un univers étonnamment cohérent. Les Pionniers de la Western Union (Western Union, 1941) illustrent à merveille comment Lang savait inscrire ses thèmes personnels dans une forme fortement codifiée.
Dans les années 1860, la Western Union souhaite installer une ligne télégraphique à travers lOuest des Etats-Unis. Un des responsables de la compagnie, Creighton, est secouru dans le désert par Vance Shaw (Randolph Scott), recherché pour le hold-up dune banque. Reconnaissant, Creighton embauche Vance comme éclaireur pour la Western Union. Mais linstallation de la ligne est très vite perturbée par des attaques indiennes et des vols de chevaux. De plus, le passé trouble de Vance refait bientôt surface
Contrairement à une opinion fort répandue, lintérêt de Lang pour le western nest pas feint pour des raisons seulement professionnelles. Il sancre dans la fascination que le grand Ouest américain exerçait sur le cinéaste. Avide de savoir et rempli de curiosité devant la vie, il chercha à connaître lAmérique dès les premiers mois de son séjour dans son pays dadoption. Cest pourquoi il se rendit en Arizona pour rencontrer les Indiens et vécut huit semaines chez les Navajos. Le ton de vérité qui se dégage des Pionniers de la Western Union trouve assurément sa source dans cette expérience. Le film regorge de détails authentiques et déléments pittoresques : la pose des poteaux, le déroulement des fils et le fonctionnement des isolateurs ont été scrupuleusement représentés avec réalisme. Lang affirmait avec fierté avoir été le premier à montrer les Indiens avec leurs véritables peintures de guerre. Lédition en DVD du film par Films Sans Frontières est précisément accompagnée des « Western Home Movies » que le cinéaste tourna, en couleurs, avec sa caméra 8 mm, lors de ses excursions dans lOuest. Ce journal cinématographique témoigne dune connaissance véritable des paysages du Far West, tout comme dun goût évident pour leur transcription à lécran, et invite à reconsidérer les westerns langiens.
Deuxième réalisation de Lang dans ce genre, Western Union développe une action apparemment éclatée : lépopée des pionniers, lavancée du télégraphe, la rencontre avec des Indiens hostiles, les évocations de la guerre de Sécession, le gang venu du Missouri, etc. Cependant, tous ces motifs, qui relèvent des productions westerniennes classiques, sont organisés autour dune thématique à la fois propre aux films de cow-boys et très proche des interrogations personnelles du réalisateur. Il sagit de la figure de loutlaw qui tente en vain de se racheter. Le destin implacable de Vance Shaw rattrapé par son passé constitue, en effet, le parcours récurrent des personnages éminemment langiens : cest un homme solitaire qui, malgré des actes illégaux, se révèle foncièrement bon (il sauve Creighton et accepte de défendre la compagnie pour laquelle il travaille) ; mais il ne peut trahir le chef des hors-la-loi, qui nest autre que son propre frère. Sa trajectoire ne peut donc être que tragique : Shaw, qui a rencontré la femme de sa vie « quelques années trop tard », sait quil néchappera pas à la fatalité. En ce sens, lintérêt de Lang pour le western na rien dune incursion hasardeuse. Laventure westernienne lui a permis dexplorer ce qui est au cur de sa création : le combat de lhomme contre le destin. « Ce nest pas le destin qui est important, mais le combat », ajoutait le cinéaste. Cest précisément cette lutte qui, en étant ici mise en scène avec brio, enrichit (dès 1941 !) le genre dune dimension indissociablement psychologique et métaphysique.
uvre arborescente mais unifiée par son héros, Les Pionniers de la Western Union se déploie selon un sens remarquable du rythme : la progression, en étant ponctuée dincidents divers et de nombreuses intrigues, suscite un intérêt sans cesse renouvelé. Cette reconstitution de lOuest tire sa force de son authenticité qui, en dépit du foisonnement des aventures, rend le déroulement à la fois haletant et crédible. Lesthétique langienne se veut résolument réaliste, comme le soulignent les fréquentes notations minutieuses. Ainsi, lorsque Vance sapprête à affronter la bande de son frère, il ôte le pansement de ses mains brûlées, et Lang lui fait étirer ses doigts meurtris pour voir si sa main peut appuyer sur la détente. La beauté tragique du duel final doit beaucoup à son « traitement objectif et quasi-documentaire », comme la pertinemment noté Lotte H. Eisner (Fritz Lang, Petite bibliothèque des Cahiers du Cinéma, p.258). Dans cette perspective, les mouvements dappareil, souvent remarquables de précision, tendent à renforcer cette puissante impression dauthenticité : lors du face à face avec les Indiens, la caméra panoramique regarde dabord vers le haut (on voit le dernier poteau télégraphique doù pend un fil), puis revient vers le bas pour cadrer le rouleau de câble dans lequel est plantée une lance indienne, avant de panoramiquer à 90° (on voit deux cents Indiens en peintures de guerre). Ce plan unique, conçu à partir dun panoramique à 180°, fait de la découverte des Indiens un événement chargé dune intense tension dramatique.
Lart du réalisateur germano-américain se manifeste aussi dans son utilisation du Technicolor pour les scènes nocturnes. Traitée en impressions colorées, la traversée de la forêt par Vance, quand il se rend au rendez-vous piégé, donne lieu à une composition particulièrement magnifique. Cette technique livre tout son potentiel de beauté plastique dans la séquence de lincendie du camp. La magistrale orchestration, typiquement langienne, consiste à montrer laction à travers le prisme du jeu subtil entre ombres et lumière : les flammes, qui entourent les chariots, jaillissent, hautes, dans la nuit et projettent des ombres menaçantes. Cette exceptionnelle maîtrise de loutil cinématographique met en évidence le génie dun auteur dont la vision intérieure simpose malgré les conventions et les stéréotypes : Lang a su mettre sa virtuosité technique au service de la nécessité dramatique du film de telle sorte quil est parvenu à utiliser les codes du western pour créer une uvre singulière.
Bien avant le chef-duvre Rancho Notorious (1951), Les Pionniers de la Western Union se présente comme un western superbement mis en scène qui, par delà les topoi dun genre ultra-codifié, donne à voir la conception profonde du monde et de lhomme propre à Fritz Lang. En ce sens, le film est plus quun brillant exercice de style : il nous introduit dans les abîmes insondables de la conscience moderne tourmentée par le vertige dune liberté finalement illusoire.
Sylvain Roux ( Mis en ligne le 20/01/2007 ) Imprimer
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