L'actualité du livre Vendredi 26 avril 2024
  
 
     
Films  ->  

Pour vous abonner au Bulletin de Parutions.com inscrivez votre E-mail
Rechercher un réalisateur/acteur
A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z
Films  ->  Grands classiques  
Lang au Far West
avec Fritz Lang, Randolph Scott, Virginia Gilmore, Robert Young
Films sans frontières 2006 /  19.99  € - 130.93 ffr.
Durée film 95 mn.
Classification : Tous publics

Sortie Cinéma, Pays : Etats-Unis, 1941
Titre original : Western Union

Version : DVD 9/Zone 2
Format vidéo : 4/3
Format image : 1.33 (couleurs)
Format audio : Anglais mono
Sous-titres : Français

Bonus :
Les « Western Home Movies » de Fritz Lang


L'auteur du compte rendu : Professeur de Lettres Classiques dans les Alpes-Maritimes, Sylvain Roux est l'auteur, chez L’Harmattan, de La Quête de l’altérité dans l’œuvre cinématographique d’Ingmar Bergman – Le cinéma entre immanence et transcendance (2001).

Imprimer


Si Fritz Lang (1890-1976) appartient au panthéon des génies du septième art, c’est parce que son œuvre incarne la magnificence du cinéma allemand sous la République de Weimar. La série des Docteur Mabuse (1922/1933), Les Nibelungen (1924), Métropolis (1926) et M le Maudit (1931) sont à juste titre considérés comme des chefs-d’œuvre qui s’interrogent sur la culpabilité, la loi, le rachat et la liberté de l’individu dans un monde moderne à la dérive. Ces films, trop systématiquement rattachés au mouvement expressionniste, témoignent cependant, par leur fidélité aux enseignements du metteur en scène de théâtre Max Reinhardt et par leur dramaturgie fondée sur un jeu précis entre les ombres et la lumière, d’une unité à la fois thématique et esthétique.

En revanche, la période américaine du cinéaste (1936-1956) apparaît plus disparate, plus insaisissable et est, de ce fait, souvent négligée, à quelques exceptions près. Or, ce caractère éclectique, loin de signifier un éclatement tous azimuts de la création langienne sous la pression des studios hollywoodiens, ressortit de l’exceptionnelle capacité d’adaptation du réalisateur exilé : autant il a été germanique en Europe, autant il est américain (dès 1935) aux Etats-Unis dont il assimile avec profondeur l’Histoire et les mythes cinématographiques. Lang exprime ainsi sa vision personnelle à travers les genres les plus divers du cinéma d’Outre-Atlantique : le drame judiciaire (Fury, 1936), le film d’espionnage (Chasse à l’homme, 1941), le film policier (La Cinquième victime, 1956), le film d’aventures historiques (Moonfleet, 1955) et… le western. Moins connues que les autres, les réalisations langiennes dans ce dernier genre révèlent également les obsessions fondamentales d’un auteur qui, par-delà les frontières et les cadres génériques, a su construire un univers étonnamment cohérent. Les Pionniers de la Western Union (Western Union, 1941) illustrent à merveille comment Lang savait inscrire ses thèmes personnels dans une forme fortement codifiée.

Dans les années 1860, la Western Union souhaite installer une ligne télégraphique à travers l’Ouest des Etats-Unis. Un des responsables de la compagnie, Creighton, est secouru dans le désert par Vance Shaw (Randolph Scott), recherché pour le hold-up d’une banque. Reconnaissant, Creighton embauche Vance comme éclaireur pour la Western Union. Mais l’installation de la ligne est très vite perturbée par des attaques indiennes et des vols de chevaux. De plus, le passé trouble de Vance refait bientôt surface…

Contrairement à une opinion fort répandue, l’intérêt de Lang pour le western n’est pas feint pour des raisons seulement professionnelles. Il s’ancre dans la fascination que le grand Ouest américain exerçait sur le cinéaste. Avide de savoir et rempli de curiosité devant la vie, il chercha à connaître l’Amérique dès les premiers mois de son séjour dans son pays d’adoption. C’est pourquoi il se rendit en Arizona pour rencontrer les Indiens et vécut huit semaines chez les Navajos. Le ton de vérité qui se dégage des Pionniers de la Western Union trouve assurément sa source dans cette expérience. Le film regorge de détails authentiques et d’éléments pittoresques : la pose des poteaux, le déroulement des fils et le fonctionnement des isolateurs ont été scrupuleusement représentés avec réalisme. Lang affirmait avec fierté avoir été le premier à montrer les Indiens avec leurs véritables peintures de guerre. L’édition en DVD du film par Films Sans Frontières est précisément accompagnée des « Western Home Movies » que le cinéaste tourna, en couleurs, avec sa caméra 8 mm, lors de ses excursions dans l’Ouest. Ce journal cinématographique témoigne d’une connaissance véritable des paysages du Far West, tout comme d’un goût évident pour leur transcription à l’écran, et invite à reconsidérer les westerns langiens.

Deuxième réalisation de Lang dans ce genre, Western Union développe une action apparemment éclatée : l’épopée des pionniers, l’avancée du télégraphe, la rencontre avec des Indiens hostiles, les évocations de la guerre de Sécession, le gang venu du Missouri, etc. Cependant, tous ces motifs, qui relèvent des productions westerniennes classiques, sont organisés autour d’une thématique à la fois propre aux films de cow-boys et très proche des interrogations personnelles du réalisateur. Il s’agit de la figure de l’outlaw qui tente en vain de se racheter. Le destin implacable de Vance Shaw rattrapé par son passé constitue, en effet, le parcours récurrent des personnages éminemment langiens : c’est un homme solitaire qui, malgré des actes illégaux, se révèle foncièrement bon (il sauve Creighton et accepte de défendre la compagnie pour laquelle il travaille) ; mais il ne peut trahir le chef des hors-la-loi, qui n’est autre que son propre frère. Sa trajectoire ne peut donc être que tragique : Shaw, qui a rencontré la femme de sa vie « quelques années trop tard », sait qu’il n’échappera pas à la fatalité. En ce sens, l’intérêt de Lang pour le western n’a rien d’une incursion hasardeuse. L’aventure westernienne lui a permis d’explorer ce qui est au cœur de sa création : le combat de l’homme contre le destin. « Ce n’est pas le destin qui est important, mais le combat », ajoutait le cinéaste. C’est précisément cette lutte qui, en étant ici mise en scène avec brio, enrichit (dès 1941 !) le genre d’une dimension indissociablement psychologique et métaphysique.

Œuvre arborescente mais unifiée par son héros, Les Pionniers de la Western Union se déploie selon un sens remarquable du rythme : la progression, en étant ponctuée d’incidents divers et de nombreuses intrigues, suscite un intérêt sans cesse renouvelé. Cette reconstitution de l’Ouest tire sa force de son authenticité qui, en dépit du foisonnement des aventures, rend le déroulement à la fois haletant et crédible. L’esthétique langienne se veut résolument réaliste, comme le soulignent les fréquentes notations minutieuses. Ainsi, lorsque Vance s’apprête à affronter la bande de son frère, il ôte le pansement de ses mains brûlées, et Lang lui fait étirer ses doigts meurtris pour voir si sa main peut appuyer sur la détente. La beauté tragique du duel final doit beaucoup à son « traitement objectif et quasi-documentaire », comme l’a pertinemment noté Lotte H. Eisner (Fritz Lang, Petite bibliothèque des Cahiers du Cinéma, p.258). Dans cette perspective, les mouvements d’appareil, souvent remarquables de précision, tendent à renforcer cette puissante impression d’authenticité : lors du face à face avec les Indiens, la caméra panoramique regarde d’abord vers le haut (on voit le dernier poteau télégraphique d’où pend un fil), puis revient vers le bas pour cadrer le rouleau de câble dans lequel est plantée une lance indienne, avant de panoramiquer à 90° (on voit deux cents Indiens en peintures de guerre). Ce plan unique, conçu à partir d’un panoramique à 180°, fait de la découverte des Indiens un événement chargé d’une intense tension dramatique.

L’art du réalisateur germano-américain se manifeste aussi dans son utilisation du Technicolor pour les scènes nocturnes. Traitée en impressions colorées, la traversée de la forêt par Vance, quand il se rend au rendez-vous piégé, donne lieu à une composition particulièrement magnifique. Cette technique livre tout son potentiel de beauté plastique dans la séquence de l’incendie du camp. La magistrale orchestration, typiquement langienne, consiste à montrer l’action à travers le prisme du jeu subtil entre ombres et lumière : les flammes, qui entourent les chariots, jaillissent, hautes, dans la nuit et projettent des ombres menaçantes. Cette exceptionnelle maîtrise de l’outil cinématographique met en évidence le génie d’un auteur dont la vision intérieure s’impose malgré les conventions et les stéréotypes : Lang a su mettre sa virtuosité technique au service de la nécessité dramatique du film de telle sorte qu’il est parvenu à utiliser les codes du western pour créer une œuvre singulière.

Bien avant le chef-d’œuvre Rancho Notorious (1951), Les Pionniers de la Western Union se présente comme un western superbement mis en scène qui, par delà les topoi d’un genre ultra-codifié, donne à voir la conception profonde du monde et de l’homme propre à Fritz Lang. En ce sens, le film est plus qu’un brillant exercice de style : il nous introduit dans les abîmes insondables de la conscience moderne tourmentée par le vertige d’une liberté finalement illusoire.


Sylvain Roux
( Mis en ligne le 20/01/2007 )
Imprimer

A lire également sur parutions.com:
  • Coffret Fritz Lang
       de Fritz Lang
  • Docteur Mabuse, le joueur
       de Fritz Lang
  • La Rue Rouge
       de Fritz Lang
  •  
    SOMMAIRE  /  ARCHIVES  /  PLAN DU SITE  /  NOUS ÉCRIRE  

     
      Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
    Site réalisé en 2001 par Afiny
     
    livre dvd