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Ressusciter Antonio ?
avec Glauber Rocha, Mauricio do Valle, Odete Lara, Othon Bastos, Jofre Soares
Films sans frontières 2007 /  19.99  € - 130.93 ffr.
Durée film 95 mn.
Classification : Tous publics

Sortie Cinéma, Pays : 1969, Brésil
Sortie DVD : Avril 2007
Titre original : O Dragão da Maldade contra o Santo Guerreiro

Version : DVD 9, Zone 2
Format vidéo : PAL, format 1.33
Format image : Couleurs, 4/3
Format audio : Portugais mono
Sous-titres : Français

Bonus :
- Le livret critique

Prix de la mise en scène au Festival de Cannes 1969

L'auteur du compte rendu : Yannick Rolandeau est scénariste et cinéaste, auteur de Le cinéma de Woody Allen (Aléas) et collaborateur à la revue littéraire L'Atelier du roman (Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal.

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Qu'un auteur parvienne à être transgénérationnel et sa production devient ce qu'on a coutume d'appeler une œuvre, franchissant la barrière de l'âge, s'adressant à d'autres publics que le sien à l'origine, tandis que son contenu poétique transcende les générations pour justement parler de l'humain dans toute sa complexité et toute son ambiguïté. Sinon, il n'est qu'un banal produit et reste infra-générationnel, ne visant que la complaisance du public ciblé. Il devient passionnant alors de revisiter certains films pour voir ce qu'il en est de leur réelle pertinence, des années après leur production et leur distribution. Avec Glauber Rocha, la chose rencontre plusieurs écueils. Qui connaît d'abord ce cinéaste à part quelques (vieux ?) cinéphiles ? Voilà une occasion de remettre les pendules à l'heure grâce à Galeshka Moravioff et à «Films sans frontières» qui tentent depuis plusieurs années de faire connaître une cinématographie différente (voir entre autres les films remarquables du cinéaste indien Satyajit Ray).

Réalisateur, scénariste, producteur, acteur, monteur et compositeur brésilien, Glauber Rocha est né le 14 mars 1938 à Vitória da Conquista. Son éducation est religieuse, sa mère étant une presbytérienne pratiquante. Inscrit en droit à l’université de Bahia, il y restera pendant trois ans. C’est pendant cette période qu’il réalise son premier film, Patio, un court métrage, en utilisant des restes de pellicule. Il devient journaliste au Jornal da Bahia, en prenant la tête du supplément littéraire. Journaliste, critique de cinéma, réalisateur, penseur, écrivain, agitateur culturel, polémique, Glauber Rocha fut le fer de lance de ce qu'on a appelé le cinema novo, la nouvelle vague brésilienne. Ses maîtres ont été Rossellini, Orson Welles, Visconti, Buñuel, Antonioni, Pasolini et Godard. Références pour la plupart excellentes ! Il a beaucoup écrit sur le cinéma comme journaliste et polémiste. A partir des années 60, il se tourne vers le cinéma. A l’origine seulement producteur du film Barravento, il prend finalement la tête du projet en tant que réalisateur. Le film fait bonne impression dans plusieurs festivals internationaux, et sera remarqué par Alberto Moravia en Italie. En 1964, Le Dieu noir et le diable blond est ovationné au Festival de Cannes, mais ce sont Les Parapluies de Cherbourg qui remportent la Palme d’Or.

L’année suivante, Antonio das Mortes gagne le Prix de la Mise en Scène lors du 69e Festival de Cannes. Glauber Rocha devient célèbre partout en Europe ; Jean-Luc Godard l’invite à jouer dans son film Vent d’Est où il tient son propre rôle, celui d’un réalisateur impliqué politiquement en Amérique Latine, et prônant une vision révolutionnaire et utopique du cinéma et de la politique sud-américaine. Il tourne un grand nombre de films, du Lion à Sept Têtes, tourné en moins de trois semaines en Afrique, à Têtes Coupées, tourné en Espagne juste après. En 1977, après un séjour aux Etats-Unis, il commence à tourner L’Âge de la terre. En 1978, Glauber Rocha est candidat aux élections pour l’Etat de Bahia. L’Âge de la terre, présenté au Festival International de Venise, déplaît à la critique. Rocha fait un scandale, accuse Louis Malle, qui reçoit le Lion d’Or pour Atlantic City, d’être un fasciste et un réalisateur de second plan ; il s’en prend aux directeurs d'un festival qui favoriserait selon lui le cinéma commercial. En 1981, alors qu’il est toujours en Europe, ses problèmes de santé deviennent de plus en plus graves et il meurt le 21 août, juste après avoir été rapatrié à Rio.

Le contexte joue ici à plein puisque nous sommes au coeur du mouvement révolutionnaire de gauche, même si le cinéaste déteste le militantisme bondieuzard, la fiction de gauche aux formes académiques. En se politisant dès son premier long métrage, Barravento, en 1962, le cinéma de Glauber devient militant, quelque peu cubano-marxiste. Le mouvement du Cinema Novo débute dans les années 1960, plaçant le Brésil sur la carte du cinéma mondial. Travaillant avec de petits budgets, les cinéastes s’intéressent à la pauvreté et tournent principalement dans les bidonvilles ou dans la région du Sertao. Cette nouvelle génération de cinéastes fréquente les ciné-clubs et milite dans les mouvements étudiants. Le Cinema Novo constitue l’un des principaux mouvements de décolonisation de la culture brésilienne et l’affirmation culturelle du cinéma brésilien. Plusieurs films sont emblématiques de ce mouvement : La parole donnée d’Anselmo Duarte (Palme d’Or à Cannes en 1962), Vida Secas de Nelson Peirera Dos Santos et bien sûr Le Dieu noir et le diable blond (1964) de Glauber Rocha. Opposé, dès 1964 à la dictature militaire, le cinéma brésilien voit sa production décroître sous le durcissement du régime politique.

De quoi nous parle donc l’étrange Antonio das mortes ? Le personnage est un ancien tueur de Cangaceiros. Les Cangaceiros, au XIXe siècle, sont des bandes armées qui parcourent la région du Nordeste brésilien. Ce phénomène du Cangaço, qui prend fin à la mort, en 1940, du dernier grand chef de bande - Corisco, le Diable Blond (titre de l'un des films de Glauber Rocha) - ne tarde pas à devenir une légende. Dès le début du siècle, les poètes populaires nordestinos immortalisent les prouesses des Cangaceiros à travers une littérature régionale, sorte de chanson de geste, le Cordel. Phénomène régional au départ, aseptisée par le romantisme, le Cangaceiro s’inscrit parmi les éléments symboliques de la «brésilianité». Représentation idéalisée de ces bandits - symbole de liberté, d’identité nationale ou de force occulte des opprimés -, son image se répand dans certains milieux intellectuels de l’époque. A partir des années soixante, cette vision du Cangaceiro va essaimer à l’intérieur de certaines interprétations socio-historiques du phénomène. Le Cangaceiro, que l’on oppose aux grands propriétaires terriens, se transforme en une sorte d’«infra-révolutionnaire», luttant pour la réforme agraire. Comme on le voit, le film de Glauber Rocha s'inscrit profondément dans les racines de son pays.

Antonio das mortes débute donc avec l'histoire de cet Antonio, ce tueur de Cangaceiros, quand le colonel Horacio, riche propriétaire terrien, le convoque pour se débarrasser de Coirana, un agitateur qui se prend pour un illustre Cangaceiro. Coirana dirige un groupe de paysans mystiques (les beatos) en compagnie d'un noir nostalgique de l'Afrique et d'une Sainte locale. Antonio arrive au village où une fête a lieu, et provoque en duel Coirana. La foule chante et danse en entourant les deux hommes engagés dans une lutte à mort. Antonio blesse son adversaire d'un coup de machette dans le ventre. Les paysans portent le moribond dans un lieu désert. Ne savourant guère sa victoire, Antonio boit tristement. Lorsque le colonel Horacio fait appel aux jaguncos, tueurs à gages, pour massacrer les beatos, Antonio comprend que la justice devrait être du côté des déshérités et change de camp. Après la mort tragique de l'amant de la femme du colonel, arrêté par les mercenaires et poignardé par sa maîtresse, une fusillade oppose les jaguncos et le groupe des opposants. Antonio fait cause commune avec l'instituteur, le noir et la sainte. Le noir tue le colonel d'un coup de lance. Après un massacre général, Antonio et l'instituteur repartent sur la route où passent des camions modernes.

Un tel film possède de grandes richesses et il faut s'y immerger pour en capter toute la sève. Antonio das mortes, contrairement à d'autres films de l’époque, tels ceux de Luchino Visconti, est sobrement réalisé, sans effets de zoom criards, sans une caméra qui bouge tout le temps pour créer une fausse impression de documentaire (et comme on a tendance à le pratiquer de nos jours pour faire "moderne"). Avec un tel scénario qui mélange plutôt astucieusement éléments baroques, religiosité, traditions folkloriques, politique, etc., on pouvait s'attendre, étant donné le contexte, au pire. Le film est ainsi d'une grande maîtrise formelle, fait de cadrages soignés et de plans séquences très élaborés. Le problème majeur qui subsiste en revanche dans un tel film, esthétiquement parlant, est plutôt sa théâtralité qui ne le rend pas très "vivant », avec ce côté morne et déclamatoire qui hantait certains films de l'époque (pensons aux films pénibles de Straub et Huillet, voire à ceux de Jean-Luc Godard).

On dirait que la direction d'action est quasi inexistante et que tous les acteurs jouent un même jeu, déclamant du texte sur le même ton monocorde et incolore. Cet effet d'hyperdistanciation serait plutôt bienvenu si le film possédait des éléments un peu différents, mais là, il ne permet pas de rentrer dans l’histoire et d'en sentir toute l'importance et toute l'urgence. On reste un peu en marge de tout ce qui se passe. On se demande même si ce n'est pas la maladresse qui prédomine. Idem pour la scène où un homme et la femme de du colonel Horacio roulent en s'embrassant sur le corps de l'amant précédemment assassiné ! Le tout étant ponctué par une musique contemporaine du plus mauvais effet (volonté d'avant-gardisme un peu typique de cette époque).

Bref, Antonio das mortes est très bien mis en scène mais formellement très difficile d'accès, ce qui le ferme à un public plus large. C'est peut-être aussi la raison pour laquelle il reste peu connu de nos jours.


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 01/06/2007 )
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