L'actualité du livre Jeudi 28 mars 2024
  
 
     
Films  ->  

Pour vous abonner au Bulletin de Parutions.com inscrivez votre E-mail
Rechercher un réalisateur/acteur
A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z
Films  ->  Grands classiques  
Malaise dans la civilisation
avec Luis Buñuel, Claudio Brook, Enrique Alvarez Felix, Silvia Pinal, Enrique Rambal
Gaumont Columbia Tristar Home Vidéo 2007 /  31.99  € - 209.53 ffr.
Durée film 195 mn.
Classification : Tous publics

Sortie Cinéma, Pays : Mexique 1962, 1964
Titre original : El ángel exterminador / Simón Del Desierto

Version : 2 DVD 9/Zone 2
Format vidéo : 4/3, PAL
Format image : 1.33 (noir et blanc)
Format audio : Espagnol (mono)
Sous-titres : Français

DVD 1
- L'Ange exterminateur / Film chapitré

DVD 2
- Simon du désert / Film chapitré

Bonus :
- Un documentaire d’Emilio Mallé sur la période mexicaine de Luis Bunuel (55 mn)

L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est l’auteur de Le cinéma de Woody Allen (Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman (Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal.

Imprimer


Peu à peu, les principaux films de Luis Buñuel sortent en DVD. Après Los Olvidados, Le Journal d'une femme de chambre, Cet obscur objet du désir, Le Charme discret de la bourgeoisie et d'autres, il manquait indéniablement L'Ange exterminateur. Tourné entre deux autres grands films, Viridiana (1961) et Le Journal d'une femme de chambre (1963), L'Ange exterminateur, d'après un scénario de Luis Alconiz, Jose Bergamin et Luis Buñuel, est l'un des joyaux de la filmographie du cinéaste même si celui-ci confesse dans son autobiographie, Mon dernier soupir, qu'il aurait préféré parfois ne pas le réaliser à cause de la pauvreté des décors (préférant Londres et Paris à Mexico) et de la courte durée du tournage.

Cependant, le film bénéficie d'une aura prestigieuse et est souvent cité d'une façon ou d'une autre. Dans La Vie et tout le reste, Woody Allen lui rend un hommage discret quand Jerry Falk (Jason Biggs) et Amanda (Christina Ricci) sortent d'un cinéma et entendent deux spectateurs qui disent ne pas comprendre que des invités ne puissent pas quitter la pièce pour rentrer chez eux... L'Ange exterminateur développe un sujet bien particulier. Le film débute en effet par une réception bourgeoise. Des détails insolites surgissent. Un personnage répète deux fois la même phrase, des animaux, un ours, des brebis, circulent dans la cuisine... Une femme cache une patte de poule dans son sac à main. Les invités se rassemblent pour écouter jouer du piano. Mais au lieu de partir, les convives dorment dans le salon, à même le sol pour la plupart et ce n'est qu'au petit matin qu'ils réalisent qu'ils ne peuvent pas en sortir. La chose est inexplicable et la situation se poursuit pendant plusieurs jours. Dehors, les policiers et les passants ne peuvent pas pénétrer dans la demeure, jouets de la même force mystérieuse.

Voir dans le film la simple dénonciation de la bourgeoisie serait en restreindre la portée existentielle en plus de politiser une telle oeuvre. Luis Buñuel détestait les interprétations intellectualisantes de ses films. Il se moque dans son autobiographie des critiques fanatiques qui virent dans l'ours le bolchevisme guettant la société capitaliste paralysée dans ses contradictions. L'Ange exterminateur parle bien plutôt de la civilisation et de la tragique et fragile condition humaine en instaurant une idée maîtresse fort simple autant qu'étrange : l'impossibilité de sortir d'un lieu.

Avec une mise en scène simple et sobre mais visuellement impressionnante, Luis Buñuel montre à quel point nous sommes vulnérables. Il n'y a pas de mépris de la part du cinéaste mais au contraire la hauteur de vue d'indiquer que cette situation ne concerne pas seulement la bourgeoisie mais tout le monde. A ce titre, l'être humain est tout d'abord confronté à la soif (on perce un mur pour atteindre une canalisation), et la faim (des brebis seront sacrifiées). La suite montre la dégradation des relations entre ces notables (architectes, médecins, artistes...). Le vernis de civilisation et de la politesse se fissure, laissant éclater jalousies, névroses, lubies, adultères, folies latentes et brutalités. A force de sombrer dans l'irrationnel, de faire preuve d'égoïsme, la petite société éclate et implose. La vision de Luis Buñuel n'a rien d'idyllique et la crise qui secoue ces individus montre les limites de toute organisation humaine. Une quelconque révolution pourra-t-elle y changer quoi que ce soit ? Car il n'y a nulle "hypocrisie" de classe dans le comportement de ces hommes et de ces femmes.

Du moins, l'être humain est-il capable, avec un peu d'effort, de compassion, de tendresse et d'entraide. De désintérêt. Et de pensée. Vers la fin, l'une des convives comprend qu'il faut répéter une situation pour s'en sortir... Une dizaine de répétitions d'ailleurs émaillent le film. Par exemple deux hommes que l'on présente l'un à l'autre se serrent la main. Un peu plus tard, la scène recommence. De même voit-on à deux reprises les invités pénétrer dans le hall de la maison.

Luis Buñuel est un grand sceptique car s'il critique à raison la religion, voie sans issue, il sait qu'elle aide aussi les hommes à s'en sortir. "Si Dieu n’existe pas, tout est permis" (Dostoïevski, Les Frères Karamazov). Dans une scène, les invités pensent sacrifier l'hôte afin de contenter une divinité. Mais au fond l'athéisme n'est guère une voie plus "ouverte" quand on regarde le XXe siècle. Et en cette matière l'être humain semble aller d'un enfermement à un autre (à nouveau la répétition) comme l'indique le plan final (une église). Quel plan de fin concluerait L'Ange exterminateur s'il était tourné de nos jours ?

Si Luis Buñuel est un immense cinéaste, c'est bien parce qu'il est libre et touche à des questions simples et concrètes sans les enfermer précisément dans une quelconque idéologie. Son surréalisme est sobre et nullement affecté. Contrairement à ce qu'on entend d'habitude, Luis Buñuel semble même avoir renié le lyrisme et le romantisme de L'Âge d'or et du Chien andalou, préférant le hors-champ, les ellipses, le style allusif à celui démonstratif de ses premiers films. Par exemple, la sexualité chez Bunuel n'est pas forcément émancipatrice mais aussi chemin vers la folie ou la névrose ! Il s'est fait même plus critique envers le surréalisme...

L'autre DVD ici présenté est consacré à Simon du désert, un court métrage de 45 minutes, tourné peu après Le Journal d'une femme de chambre (1963). Là encore, il est question des fondements en quelque sorte de la civilisation humaine : du péché et de la tentation, de la luxure et de l'ascèse. Simon est un émule de St-Simeon, qui aurait vécu quarante ans sur une colonne. Comme lui, il vit en ermite et fait pénitence au sommet d'une tour de huit mètres de haut, dressée en plein désert syrien. Un riche miraculé lui en offre une autre, plus haute, avec une plate-forme entourée d'un parapet, en signe de reconnaissance. Simon prie et se livre au jeûne toute la journée. Il ne se nourrit que de feuilles de salades et d'eau. Une foule curieuse, ou pieuse, vient le voir dans l'attente d'un miracle. Le plus difficile est de résister aux tentations du diable. Prenant, tour à tour, les aspects d'une joueuse de cerceau, d'un Jésus barbu, puis d'une vamp se déplaçant dans le désert en cercueil, le Malin parvient à le faire quitter sa colonne et à l'entraîner, à bord d'un avion, dans une boite de nuit à New York où des couples se livrent à une danse nommée : "chair radioactive". Mais le diable l'avertit : "Il n'y a rien d'autre, tu dois rester ici"!...


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 22/06/2007 )
Imprimer
 
SOMMAIRE  /  ARCHIVES  /  PLAN DU SITE  /  NOUS ÉCRIRE  

 
  Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
Site réalisé en 2001 par Afiny
 
livre dvd