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En plein rêve et en plein mensonge
Alain  Gerber   On dirait qu'on serait...
Fayard 2000 /  2.15 € -  14.05 ffr. / 172 pages
ISBN : 2-213-60722-2
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Résumer en quelques lignes un livre signé Alain Gerber relève, non de la prouesse, mais de la pure trahison. Il écrit si bien, il choisit ses mots avec un tel luxe, il dessine ses phrases avec une telle élégance que le critique se sent minuscule devant cet auteur. Impossible de raconter une histoire imaginée par cet écrivain. Nous avons dit écrivain ? Tiens ! Comme, c'est bizarre ! Nous aurions du choisir le mot… magicien.

Oui, Alain Gerber, c'est le magicien de la littérature française. Il n'a pas son semblable pour trousser une intrigue captivante et décapante. Comme il le souligne lui-même dans ce roman, vous dévorez un bouquin de Gerber "sans savoir ce que vous êtes en train de lire, bien qu'il y ait ce sixième sens qui vous fait tourner les pages au bon endroit". Gerber ne ressemble pas à l'un de ses personnages auquel on demande pourquoi il publie tant de livres et qui répond "pour équilibrer les plateaux de la balance : j'écris trop parce qu'on ne me lit pas assez". Gerber écrit pour son plaisir et pour le nôtre.

Alors de quoi s'agit-il ? Tentons l'impossible en disant que Gerber invente un modeste conservatoire de banlieue où le "patron" apprend la vie à ses élèves en leur faisant croire qu'ils font du théâtre. Ce Jouvet de patronage, auquel il ne manque que de bégayer, est le premier à se prendre au jeu quand il tire les ficelles du délicieux mélo de Maurice Truchot dit Momo, avec Valentine Lambrecht. Ce Jouvet de pacotille a du tempérament et connaît ses classiques. Ici une réplique d'Entrée des artistes, là une autre de La Fin du jour , puis encore une autre de Quai des orfèvres. Il a les mimiques et les tics de Jouvet mais il n'est qu'un comédien de seconde zone.

Quant à Momo le franc comtois, il boit ses paroles dans l'espoir de brûler les planches en même temps qu'il est amoureux d'Audrey Hepburn et de la pulpeuse Ornella Campieoni. Momo vit son rêve et finit, peut-être, par l'accomplir. Il traverse la seconde moitié du siècle et ses événements - la guerre d'Algérie, Mai 68… - comme sur un nuage. Son Jouvet, "mon petit vieux" comme il l'appelle, le protège. Pourquoi en dire davantage ? Pourquoi déflorer les aventures d'un Momo se métamorphosant en Simon Corporal au fil d'une tournée minable le conduisant de Mulhouse à Bruges en passant par l'Ardèche et le Midi où il endosse le costume d'un héros de Tchekhov ? Pourquoi conter ses jours de vins et de roses ?

Il suffit seulement de savoir que l'on est en plein rêve et en plein mensonge. Tel un gamin, Gerber joue à inventer des personnages jouant eux-mêmes d'autres personnages parce que quand on est mal dans sa peau, on peut toujours emprunter celle d'un autre. Le théâtre, c'est ça, nous dit Gerber, on joue à faire semblant et inversement. Et avec lui, il en est toujours ainsi. Ses tendres héros au destin flottant sont si attachants, si présents et si fragiles que l'on n'ose pas lâcher le livre un instant de peur qu'en notre absence ils ne disparaissent. Notre lecture les fait vivre. Et, s'il y a urgence, c'est parce que ses hommes et ses femmes nous ressemblent. Alors, on dirait que ce roman de Gerber est un pur chef-d'oeuvre et on aurait mille fois raison…


Jean-Marc Loubier
( Mis en ligne le 09/01/2001 )
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