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Chef-d'oeuvre sauvé du temps
M.  Aguéev   Roman avec cocaïne
Belfond 2003 /  2.21 € -  14.50 ffr. / 200 pages
ISBN : 2714438245
FORMAT : 14 x 23 cm

Traduit par Lydia Chweitzer
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Étrange destin que celui de Roman avec cocaïne, œuvre puissante et dérangeante qui met en scène les tribulations d’un adolescent torturé, Vadim, dans le Moscou pré-révolutionnaire de 1916. Le manuscrit, au départ intitulé Récit avec cocaïne et rédigé par un certain M. Aguéev, parvient à la rédaction parisienne de la revue russe Nombres dans les années trente. Le pli provient d’Istanbul et l’identité de l’auteur est mystérieuse (on ne retrouvera d’ailleurs jamais sa trace, et la rumeur attribuera la paternité du récit à de nombreux auteurs célèbres, dont Nabokov).

Pour ajouter au trouble, l’intrigue elle-même – le glissement progressif d’un jeune homme vers la dépendance à la cocaïne, raconté avec force détails crus, mais non sans un certain détachement cynique – est inhabituelle, tant sur le fond que sur la forme. Le manuscrit sera initialement publié en plusieurs volumes dans la revue Nombres, puis Belfond éditera, en 1983, l’œuvre dans son intégralité, pour la première fois. Aujourd’hui, le même éditeur réédite Roman avec cocaïne, accompagné d’une nouvelle inédite d’Aguéev, Un sale peuple.

Articulé en quatre parties bien distinctes, l'ouvrage décrit donc, avec minutie, le quotidien d’un jeune Moscovite, à travers ses multiples réalités : le lycée, les camarades, les errements amoureux et sexuels, les relations familiales – placées sous le signe de la honte de Vadim devant sa vieille mère pauvre et misérable. Les deux dernières parties – Cocaïne et Pensées – qui rendent compte de la toxicomanie, puis de la dépendance physique et mentale du narrateur, sont les plus puissantes, illustrations d’une jeunesse précipitée dans le néant.

La particularité de cette œuvre violente et sulfureuse est qu’elle est tout entière vouée au point de vue du narrateur – peu de descriptions et de narration « extérieures », donc aucune respiration – et qu’elle fait pénétrer, en profondeur, dans les recoins de l’âme et du corps d'un adolescent. Le lecteur s’y loge, s’y blottit, et ne peut faire autre chose que ressentir et imaginer, guidé d’une part par les suggestions sulfureuses de l’auteur, de l’autre par la précision et la crudité des détails livrés. Par exemple, le récit de la première prise de cocaïne est décrit en temps réel et il est à ce point maîtrisé que le lecteur assiste également… à la perte de maîtrise de l’auteur-narrateur, ainsi qu’à son sentiment de toute-puissance dû à la poudre : «Et j’ai envie de retenir cette nuit, je suis si bien et c’est tellement clair en moi, je suis si immodérément amoureux de cette vie que je voudrais tout ralentir, entamer lentement, par morceaux, l’adoration de chaque seconde, mais déjà rien ne s’arrête et toute cette nuit s’en va irrésistiblement et vite.»

La dernière partie, Pensées, est quant à elle la restitution de l’état de dépendance du jeune homme, et de ses pensées, par moments envahies d’angoisse et de malaise, à d’autres particulièrement inspirées, comme par exemple ce long développement sur la grandeur d’âme qui seule permet de se révolter – autrement dit rentrer dans un combat où l’on risque sa vie physiquement. Bref, si l’homme ne se révolte pas contre sa condition, c’est qu’il n’a pas la grandeur d’âme suffisante, «mécanisme de la balançoire, où le plus grand envol vers la Noblesse de l’Esprit entraîne le plus grand mouvement en retour vers la fureur de la bête.»

La grande qualité d’Aguéev – excessivement difficile à atteindre – est d’arriver à traduire, en quelques phrases, l’ambivalence de l’âme et la gamme des sentiments humains : le désir fait place à la compassion, qui elle-même fait place à la lâcheté, etc. Outre la forme excellente, Aguéev parvient également à transmettre, par le biais de son héros tourmenté, sa vision de la vie, résolument moderne ; sur le thème «les hommes qui couchent à droite à gauche sont des Don Juan, les femmes qui font de même sont des putains» : «Donc il est juste et vrai que la séparation du spirituel et du sensuel chez un homme est signe de sa virilité, et la séparation du spirituel et du sensuel chez une femme un signe de sa prostitution. Et il suffirait que toutes les femmes, ensemble, se virilisent, pour que le monde, le monde entier, se transforme en bordel» ; sur celui du culte des muscles : «On peut encore comprendre qu’une nation soit fière de ses Beethoven, Voltaire, Tolstoï (…) mais qu’une nation soit fière parce que les cuisses d’Ivan
Tziboulkine sont plus fortes que celles de Hans Muller – ne croyez-vous pas, messieurs, qu’une telle fierté témoigne moins de la force et de la santé de Tziboulkine que de la débilité et de l’état morbide de la nation ?
»

Et si l’on cherche à replacer Aguéev au sein de la littérature russe, la traductrice du roman, Lydia Chweitzer, brouille un peu plus les pistes : «Il est difficile d’établir une filiation entre Aguéev et les auteurs russes qui l’ont précédé. (…) Il écrit sans tenir aucun compte de ce qu’il a lu, sans subir aucune influence. Tout – son art d’observer, de décrire, de raisonner – lui appartient. En revanche, une certaine similitude se manifeste, par moments, dans sa tournure d’esprit, avec un auteur qui, bien que beaucoup plus âgé, a vécu à la même époque, mais qu’il n’a probablement jamais lu : Marcel Proust.»

Quoi qu’il en soit, même sans filiation et avec un auteur mystère, Roman avec cocaïne demeure un chef-d’œuvre de profondeur et d’élégance, sombre et brillant, un sommet de raffinement à découvrir absolument.


Caroline Bee
( Mis en ligne le 08/09/2003 )
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