Laure
Adler À ce soir
Gallimard - Blanche 2001 / 2.28 € - 14.96 ffr. / 186 pages
ISBN : 2-07-076265-3
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Tout commence par un accident évité de justesse, au petit matin, par la sensation d'avoir frôlé la mort de près, de s'y être soumise pendant un bref instant critique. Et la journée de travail qui se déroule ensuite, comme si de rien n'était - extérieurement du moins : la narratrice joue son rôle, hantée silencieusement par ce non-événement "d'autant plus réel qu'il n'avait pas eu lieu". Mais le soir, prenant un bain, elle constate que le cadran de sa montre est totalement embué : disparue, l'inscription ornementale À ce soir... Seule la date reste bien visible : "Treize juillet. Dix-sept ans après la mort de Rémi."
De cette suite de coïncidences va surgir le choc, la catalyse qui permettra de raconter l'histoire qui n'a jamais été dite, de la jeter nerveusement sur le papier au cours de la nuit, alors qu'elle gît dans le silence de la mémoire depuis si longtemps : "Vivre avec la mort de l'enfant. Ne plus la cacher. Ne pas l'exhiber non plus. Comment trouver la mesure ? ".
Cette mesure, elle viendra grâce à la relation minutieuse des événements, sans pathos excessif ni héroïsme de commande. Le bébé de neuf mois, l'enfant précieux et tant aimé, découvert un matin par la nourrice, inerte, regard vide, respirant à peine. Le retard pris par le corps médical de l'époque, du médecin de quartier désinvolte aux urgences pédiatriques "où justement, rien n'est urgent"... Et la culpabilité qui s'insinue, celle de s'être absentée, d'avoir abandonné sa mission tutélaire et partant, de n'avoir pas sauvé son enfant. Car la mère pressent confusément, sans pouvoir se l'avouer, que l'événement est grave, très grave... Les semaines suivantes se déroulent dans un cauchemar égaré, des heures somnambuliques où l'on s'illusionne, en prenant chaque petite rémission pour une promesse de guérison. Cloués au chevet de leur bébé, qui les regarde avec la confiance innée des tout-petits, les parents foudroyés ne peuvent pas voir la réalité : "imaginer que l'enfant puisse être en danger. D'ailleurs comment même l'imaginer ? "
Laure Adler, journaliste, est l'auteur de plusieurs ouvrages sociologiques, historiques ou biographiques, dont l'excellent Marguerite Duras (Gallimard, 1998). Cet épisode fondateur de sa mélancolie, du trouble qui flotte parfois sur son beau visage pensif, elle n'avait jamais pu le raconter. Aujourd'hui, il surgit enfin, comme un long cri. Parfois discordant, brut, convulsif... Mais comment pourrait-il en être autrement, lorsqu'il s'agit de revenir sur le drame absolu, laissant à jamais inconsolable ? Frappant au hasard, parmi les êtres qui ont choisi de devenir parents - et sont entrés ainsi dans un monde de vulnérabilité pure, où d'une petite personne fragile mais infiniment précieuse dépendent tous les sommets et tous les abîmes du destin.
Isabelle Nouvel
( Mis en ligne le 29/08/2001 )
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