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Marx et Aron font bon ménage
Raymond  Aron   Le Marxisme de Marx
Le Livre de Poche 2004 /  1.53 € -  10.00 ffr. / 800 pages
ISBN : 2-253-10800-6
FORMAT : 11 x 18 cm

Texte établi et annoté par Jean-Claude Casanova et Christian Bachelier.

Cet ouvrage est paru la première fois en mai 2002 (Bernard de Fallois)

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Les temps changent et c'est tout juste aujourd'hui s'il ne faut pas s'excuser de parler de Marx. Aron, pour sa part, pensait autrement, lui qui tout au long de sa carrière n'a cessé de fréquenter l'oeuvre de celui-ci. Dans les années qui ont précédé mai 68, la rumeur circulait qu'Aron faisait en Sorbonne d'excellents cours sur Marx et notamment sur Le Capital. Cela ne signifiait pas pour autant que les étudiants allaient l’écouter : ils lui préféraient massivement Althusser, chez qui la lecture de Marx était liée à un projet révolutionnaire et à un jargon scientifique qui aujourd'hui nous fait sourire; le sectarisme allait si loin que l'opuscule qu'Aron consacrait alors à ce phénomène, D'une Sainte Famille à l'autre, était presque interdit de compte-rendu dans les revues bien pensantes.

En prenant la courageuse initiative de publier ces notes de cours, complétées par celles d'un autre cours professé au Collège de France en 1976-77, Jean-Claude Casanova et Christian Bachelier nous permettent de juger sur pièces. Ce fort volume, qui nous donne une idée de ce qu'aurait été le livre sur Marx qu'Aron avait toujours projeté d'écrire, nous montre qu'il était bien un des meilleurs connaisseurs de Marx de son époque. En nous replongeant trente ou quarante ans en arrière, il nous invite aussi à prendre un peu de distance par rapport à notre actualité, ce qui a d'ordinaire un effet stimulant.

Les premiers mots de l'ouvrage portent sur la difficulté à parler de Marx. L'auteur du Capital n'est en effet pas un auteur comme les autres. A l'époque où Aron écrivait, le rapport Kroutchev avait juste quelques années. Toute une partie du monde se déclarait marxiste de sorte que, dans l'opinion de la majorité, parler de Marx revenait immanquablement à prendre position sur l’échiquier politique. Aron, cependant, distinguait soigneusement le rédacteur du Figaro qu'il était, et le professeur en Sorbonne. La salle de cours n'est pas la place publique et un travail académique doit tenter d'oublier les luttes partisanes. Si l’on souhaite voir comment il règle ses comptes avec Sartre, Merleau Ponty ou Althusser sur la question du marxisme, c'est à d'autres ouvrages qu'il faut se reporter. Ici, il s'agit de l'oeuvre de Marx, et d'elle seule. Point de vue d'historien, cherchant à savoir ce qu'un auteur a dit, et ce qu'il a voulu dire.

Revenir au texte ne signifie pas toutefois ignorer le travail de ses prédécesseurs. La littérature concernant Marx est si colossale qu'on a proposé d'y distinguer marxistes, marxiens et marxologues. Aron fait une large place aux nombreux débats suscités par l'oeuvre de Marx depuis sa mort et, quand il est question de Kautsky, de Lukacs ou de Schumpeter, c’est toujours l'auteur du Capital qui sert de fil directeur. La situation est d'ailleurs coutumière et personne ne s'étonne, dans un livre sur Kant, de voir discuter les interprétations qu'en ont donné Hegel, Schopenhauer ou Heidegger.

Dans la réception de la pensée de Marx, un événement majeur a été la découverte d'un ensemble de manuscrits de jeunesse, que leur auteur avait abandonné "à la critique rongeuse des souris" et parmi lesquels se détachent les Manuscrits de 1844, publiés pour la première fois en 1927. Comme l’indique le titre du fragment le plus célèbre : le travail aliéné, ils marquent, pour celui qui n'était encore qu'un jeune hégélien, la découverte du monde de l’économie (le travail), mais sur un mode encore philosophique (l'aliénation), et c'est pourquoi on leur a donné le nom de Manuscrits économico-philosophiques. Depuis lors, le débat qui commande toutes les interprétations porte sur le rapport entre les oeuvres de jeunesse et les oeuvres de maturité : Marx est-il avant tout un philosophe ou un économiste ? Avant même la parution des Manuscrits de 44 , Lukacs avait donné le modèle de la première lecture, qui admet diverses versions et qui était par exemple celle de Sartre ou de Merleau Ponty.

La lecture d'Aron, comme à la même époque celle d'Althusser, réagit contre cette tendance à surestimer l’oeuvre du jeune Marx. Là s’arrête toutefois ce qu'ils ont en commun et Aron se rangeait plus volontiers aux côtés de Schumpeter, l’économiste qui ne voulait voir dans Marx qu'un disciple de Ricardo. Il n'en défend pas moins une position originale. Tout d'abord il insiste sur le caractère inachevé de l'oeuvre de Marx. Ce n'est pas seulement pour la période qui précède 1848 que nous en sommes réduits à utiliser des manuscrits que leur auteur n'avait pas jugés dignes d’être publiés. Cela vaut également pour les oeuvres de maturité. Marx n'a publié que le premier livre du Capital ; les livres deux et trois ont été publiés après sa mort par Engels, le livre quatre par Kautsky ; en 1939 a été en outre publiée une version préliminaire (les Grundrisse) fort éloignée de celle dont on disposait jusqu'alors. La masse énorme de manuscrits, les différents plans successifs auxquels ils correspondent sont pour l’interprète une source de difficultés quasi inextricables. Certains se réjouiront de voir ainsi leur travail assuré pour longtemps; avec la prudence qui le caractérise, Aron préférait souligner tout ce qu'une interprétation peut avoir d’hasardeux dans de telles conditions : qu'a donc dit Marx pour qu'on puisse lui faire dire tant de choses ?

Ces mises en garde ne l’ont pas empêché d'ajouter sa propre lecture à celles dont on disposait déjà. Contre Schumpeter, il faut en effet maintenir que Marx n'est pas un économiste comme les autres : il a voulu écrire une critique de l’économie politique ; c'est en cela que réside l'originalité de son propos et toute la difficulté se résume alors à comprendre ce qu'il faut entendre par là. Une réponse consiste à dire que la marche du Capital, qui va de la valeur aux prix, repose sur l'opposition de l'essence et de l'apparence, qui n'a aucun sens pour un économiste; ou encore que l'argument marxiste, qui veut que le capitalisme soit dès à présent condamné en raison des contradictions qui lui sont inhérentes, fait appel à deux concepts de valeur, puisque le mot n'a pas le même sens selon que l'on parle de la valeur d'une marchandise ou de la valeur de la force de travail. Ailleurs encore, contre les tenants de la lecture philosophique cette fois, Aron fait valoir que Marx, dès 1844, opérait avec deux concepts d'aliénation, entendue tantôt comme perte de l'essence humaine, tantôt comme phénomène historique, — ce second sens étant seul maintenu dans les oeuvres de maturité. La formulation peut-être la plus éclairante de la lecture d'Aron consiste cependant à faire, de la critique de l'économie politique, ni de la philosophie ni de l'économie mais de la sociologie car, à la différence de l'économiste, le sociologue est en mesure, lui, de donner un sens à l'opposition de l'essence et de l'apparence.

Certes, tout n'est pas d’égale valeur dans ce gros volume et par exemple l'argument sur le double sens de l'aliénation ne semble guère probant. Le résultat n'en est pas moins remarquable. La clarté et la modestie de ces leçons contraste singulièrement avec l'épais nuage de fumée de l'althusserisme qui fleurissait à la même époque. On ne voit pas que les études marxiennes aient fait de grands progrès depuis lors et il est permis de penser que le livre deviendra rapidement un ouvrage de référence. Si l'accent y est mis sur Le Capital, il couvre l'ensemble de l'oeuvre de Marx et les écrits de jeunesse ne sont pas négligés puisque toute une partie, la première, leur est consacrée ; lui fait pendant une troisième partie, intitulée "la destinée posthume", qui traite des débats ultérieurs à la mort de Marx. On retrouve les dons d'exposition qui font toute la valeur des Grandes étapes de la pensée sociologique. La plasticité de cet esprit, sa capacité à faire abstraction de ses propres préférences et à présenter comme avec sympathie des auteurs avec lesquels il n'avait pourtant aucune affinité intellectuelle peuvent aujourd'hui encore servir de modèle. Remarquable encore est la prudence d'Aron qui, loin d'imposer comme un dogme la position qu'il défend, en soulignerait plutôt la fragilité.

Outre ces mérites intrinsèques, l'ouvrage vient compléter utilement l'image que l'on peut se faire d'Aron. L'opium des intellectuels et autres ouvrages polémiques l'avaient fait passer pour un anti-marxiste. Il ne s’agit pas de le transformer en marxiste mais de voir que ses liens à Marx sont beaucoup plus complexes ; de reconnaître en particulier non seulement à quel point Marx a compté pour lui, mais plus encore le profond respect qu'il éprouvait pour l’auteur du Capital, — et qui ne s'étendait pas à ceux qui par la suite se sont réclamés de lui. S'il s'inscrit comme naturellement dans la tradition libérale illustrée par Tocqueville, il ne faut pas oublier qu'il a lu Le Capital avant La Démocratie en Amérique et que, de son propre aveu, c'est celui-là qui l'a mené à celle-ci. Bien plus, son adhésion au libéralisme ne le rendait pas aveugle à ce qu'il discernait de vérité durable dans l'oeuvre de Marx. Avec Schumpeter il estimait que "encore aujourd'hui, lire Le Capital et s’entraîner à manier Le Capital est une des meilleures méthodes de formation des économistes. Abstraction faite de la question de savoir si les analyses essentielles de Marx sont justes ou fausses" (386). Certains estimeront qu'Aron, sur ce point, restait victime des préjugés de son temps ; ils ajouteront que sa formation allemande appartient à une époque révolue et ne voudront retenir que ses conclusions anglaises. S'il est vrai que notre regard sur Marx a bien changé, on ne voit pas pourquoi Aron aurait changé d'avis, lui qui avait toujours été sans illusion sur le régime soviétique et qui soulignait également, dans la conclusion de son cours, que nul ne pouvait dire ce que Marx aurait pensé en 1963. Aujourd'hui plus encore qu'il y a trente ou quarante ans, l'ouvrage apparaît comme un hommage rendu à l'auteur du Capital et une invitation à ne pas enterrer trop vite celui dont une des grandes erreurs avait été de vouloir enterrer trop vite le capitalisme.


Michel Bourdeau
( Mis en ligne le 09/04/2004 )
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