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Des pigeons et des hommes
François  Ayroles   Enfer portatif
Casterman - romans 2003 /  2.06 € -  13.50 ffr. / 120 pages
ISBN : 2-203-33496-7
FORMAT : 22 x 29,5 cm
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Il y a Pierre l’aveugle, et Paul le cul-de-jatte. Inévitablement inséparables, l’un étant les jambes, l’autre les yeux, ces deux complices sillonnent les routes, conversent sur tout et rien, et tentent avant tout de survivre dans un monde qui est loin d’être une sinécure pour une paire d’infirmes sans le sou.

Deux vagabonds, des voyageurs disent-ils, qui, s’ils n’avaient pas été handicapés, ne se seraient peut-être jamais supportés ni même croisés. Leur drôle d’itinéraire va emprunter le chemin d’autres personnages tous plus insolites les uns que les autres : du peintre snobinard à une jeune fille aveugle et paralysée -elle aussi !- en passant par un petit trio d’escrocs minables ; ils seront tous, à un moment ou un autre, des empêcheurs de vagabonder tranquille et de tirer sur les pigeons pour les manger.

Après Incertain silence, François Ayroles met donc à nouveau en scène un couple insolite sur les routes. Mais là où Joe, le peintre muet, et Jim n’étaient compagnons de fortune que pour un temps et pas forcément par plaisir, il y a dans Enfer portatif une véritable histoire d’amitié entre les deux hommes et c’est sans aucun doute ce qui rend cet album encore plus touchant et réussi. Le tour de force étant tout de même de rendre attachant ce couple à priori peu glamour. On ne peut qu’admirer la façon dont le trait épais et de plus en plus noir (jusqu’au noir total) d’Ayroles n’empêche pas ce dernier de rendre compte avec précision - et sans texte - des sentiments de ses personnages.

Pilier de l’Oubapo (l’Oulipo de la bande dessinée), Ayroles découpe ses pages avec toujours beaucoup d’invention : répétition de cases, planche qui se lit dans le sens des aiguilles d’une montre, etc. Les codes de la bande dessinée et les habitudes de lecture sont gentiment bousculés sans que cela soit évidemment jamais gratuit ou vire à l’exercice de style énervant.

Car Enfer portatif est avant tout une bande dessinée humoristique et si le contexte semble noir et désespéré, la sinistrose est vite balayée par des dialogues souvent savoureux et pince-sans-rire. Un humour parfois très cruel et grinçant mais évidemment bienvenu tant le postulat de départ aurait pu faire fuir. Au détour de quelques pages bien menées, Ayroles brocarde avec malice les croyances populaires, les activités de la police locale et surtout l’art contemporain, thème sous-jacent mais sans doute primordial dans cet album.

Un roman noir donc, une sorte de fable graphique sans morale qui parlerait de création et de liberté. Enfer portatif est une histoire originale et singulière qui lorgne vers Des souris et des hommes (le duo formé par Pierre et Paul serait comme une version trash de Lennie et George) autant que vers Beckett ou le cinéma italien cruel et cynique des années 70. Un mélange fantasque et pertinent pour un album véritablement réussi.


Alexis Laballery
( Mis en ligne le 22/09/2003 )
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