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Bonheur et conscience
Mihaly  Csikszentmihalyi   Vivre - La psychologie du bonheur
Robert Laffont 2004 /  3.05 € -  20 ffr. / 264 pages
ISBN : 2-221-10038-7
FORMAT : 14x24 cm

L'auteur du compte rendu: titulaire d’une maîtrise de Psychologie Sociale (Paris X-Nanterre), Mathilde Rembert est conseillère d’Orientation-Psychologue de l’Education Nationale.
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Qu’est-ce qui nous rend heureux ? C’est la question à laquelle tente de répondre Mihaly Csikszentmihaly, professeur de psychologie, américain d’origine hongroise, dans The Psychology of optimal experience, paru aux Etats-Unis en 1990, et dont les Editions Robert Laffont nous offrent aujourd’hui une traduction en français sous un titre quelque peu différent : Vivre – Psychologie du bonheur. La simplicité de cet ouvrage, dans lequel chaque idée est illustrée par des exemples concrets, le rend accessible au grand public ; l’auteur ne sombre pas pour autant dans la naïveté, écueil courant pour celui qui prétend traiter de la question du bonheur.

Dans une société matérialiste comme la nôtre, richesse, gloire et pouvoir symbolisent le bonheur ; or nombreux sont ceux qui s’accordent à dire qu’ils ne l’apportent pas. L’individu ne risque-t-il pas d’être aspiré dans ce que l’auteur nomme la «spirale hédoniste infernale» du «toujours plus» (de possessions) ? Il va de soi que dans ce genre de culture dominée par la rationalité scientifique, la religion réconforte peu… Faut-il alors chercher le bonheur dans la transgression des normes culturelles ? La socialisation de l’individu l’a rendu dépendant du contrôle social par un système de punitions et récompenses. Se laisser aller à ses pulsions peut donner l’impression d’échapper aux contraintes sociales, mais ne s’agit-il pas alors d’une autre forme de dépendance (aux besoins corporels cette fois) ? Le plaisir procuré est ponctuel et ne permet donc pas l’accroissement psychique qui est pour l’auteur au centre du bonheur. Nous rendre indépendant de nos instincts et nous fixer nous-même nos propres buts et récompenses, voilà ce vers quoi nous devons tendre.

Car ce qui sous-tend le bonheur n’est autre que la maîtrise de la conscience. Telle est la conclusion que tire Mihaly Csikszentmihaly d’une longue enquête de terrain. L’attention joue un grand rôle dans cette maîtrise car c’est elle qui permet à l’information de pénétrer dans la conscience. L’attention est dirigée par le soi qui est la somme des contenus de conscience. Ainsi, le soi et l’attention se déterminent réciproquement. Le soi interprète des données brutes comme positives ou négatives. Une information qui surgit dans la conscience et qui contrarie la poursuite du but que s’est fixé le sujet crée le désordre dans la conscience ou l’ «entropie psychique» : l’attention n’est plus disponible et le sujet est obnubilé par lui-même. Au contraire, un événement positif qui trouve sa place dans la conscience est lié au soi, qui en ressort renforcé. Le sujet peut se consacrer à la poursuite de son but car son attention est disponible.

Contrairement à une croyance répandue, ce n’est pas dans le repos (donc dans la passivité) mais dans la poursuite d’un but (donc dans l’activité) que nous pouvons réaliser l’«expérience optimale». L’attention y est librement investie en vue de réaliser un objectif personnel. La tâche doit être réalisable tout en constituant un défi, car si ses exigences sont trop supérieures à la capacité du sujet, l’anxiété pointe ; dans le cas contraire, il y a un risque d’ennui. Il faut que l’objectif visé soit net et que l’action en cours fournisse une rétroaction immédiate. L’engagement doit être suffisamment profond pour ne pas laisser de place à la distraction. La perception même de la durée s’en trouve altérée. Cette expérience optimale est autogratifiante ou autotélique : elle est recherchée pour elle-même.

L’auteur propose des exemples d’expériences optimales dans le travail, dans les loisirs impliquant l’esprit ou le corps ainsi que dans les relations interpersonnelles – on retrouve ici le célèbre «Liebe und Arbeit» de Freud : aimer et travailler, voilà ce qui déterminerait la qualité de la vie. Mais pour savoir si un individu contrôle vraiment la qualité de son expérience vécue, il convient de s’intéresser à ce qu’il fait… en situation de solitude.
Dans la recherche de cette expérience optimale se dressent de nombreux obstacles externes naturels comme les conditions matérielles difficiles, ou sociaux, en raison de l’aliénation produite par une société trop contrôlante, ou de l’anomie d’une société sans règles. Certains rencontrent aussi des obstacles internes. Ainsi, un enfant présentant des troubles de l’attention ne peut contrôler le contenu de sa conscience, pas plus qu’un psychotique qui remarque des stimuli non pertinents et traite des informations malgré lui. L’errance de l’énergie psychique devient source de souffrance chez ces personnes.

Faire de notre vie une expérience optimale continue : telle est l’utopie à laquelle nous convie Mihaly Csikszentmihaly. Ce n’est pas à tenter vainement de maîtriser l’environnement que doit être employée notre énergie psychique, mais à diriger notre façon de composer avec lui. Car l’expérience subjective n’est en effet pas un aspect de la vie, mais la vie elle-même.


Mathilde Rembert
( Mis en ligne le 31/03/2004 )
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