L'actualité du livre
  

Le Baron
de Jean-Luc Masbou
Delcourt 2020 /  23.95 €- 156.87  ffr. / 72 pages
ISBN : 978-2-4130-0529-2
FORMAT : 25x34 cm

Craque et dépendances

Les aventures du baron de Münchhausen représentent un défi pour tout dessinateur. Imaginer un loup qui mange un cheval tout en se harnachant à sa place, ou un chasseur perdu entre lion, rivière, crocodile et précipice hanté de serpents, voilà des idées qui devraient s’effondrer dès lors qu’on a son papier devant soi. Münchhausen et ses exploits n’ont pourtant pas cessés d’être adaptés en images, y compris par les plus grands, Gustave Doré, Méliès ou Terry Gilliam. Car le défi est irrésistible. Ce cheval, coupé en deux, qui laisse échapper par derrière l’eau qu’il est en train de boire ; cette corde, dont on coupe un morceau pour l’attacher plus bas et la rallonger : ces insulaires cornus, monobras et trijambistes… La logique du baron est celle d’une construction de carton-pâte, d’une algèbre privée de réalité physique, d’un décor de théâtre. Le dessin y retrouve sa naïveté enfantine. Nous sommes là aux racines du cartoon, de la ligne claire, bref, de la bande dessinée.

Pour cette nouvelle illustration, le talentueux Jean-Luc Masbou, bien connu pour De Capes et de crocs avec Ayroles, fait le choix d’habiller les anecdotes principales, réduites au minimum, d’un récit sinueux confrontant le baron historique à sa mise en fiction. Conscient du poids patrimonial du personnage, l’auteur pratique la polyphonie. Il introduit, précède, ajoute, souligne, épilogue, en modifiant son style à loisirs, invitant même des camarades dès la planche d’introduction avec un sacré culot. Il semble prendre plaisir à retarder les entrées en scène, celle de son héros comme la sienne, puis à en repousser la sortie. C’est aussi une forme de déguisement : ce dessin hachuré aux grands à-plats sommaires, ne serait-ce pas une espèce de gravure à l’ancienne ? Ailleurs, ce sont des roses de cartes postales ou une icône orthodoxe, selon l’interlocuteur du baron. Les époques se confondent, comme si le temps n’avait plus cours.
Dans ce bazar, les femmes n’ont pas le beau rôle, à se lasser visiblement des sornettes. Les vrais héros, ce sont ceux pour qui la légende est seule digne d’être racontée. Münchhausen prend des leçons dans les fadaises écrites sur son compte : on le dit cavalier sur des hippocampes ? Il l’ajoute à son répertoire. En imbriquant vérités et mensonges, comme par son objet grand et luxueux, Le Baron évoque par moments Les Indes Fourbes, dernier succès de librairie du camarade Ayroles. Bon sang ne saurait mentir, De Capes et de Crocs se poursuit ainsi dans la postérité éditoriale de ses auteurs : certains épisodes du Baron, le voyage sur la Lune ou l’île de fromage, évoquent d’ailleurs irrésistiblement leur grande série achevée. Une fois de plus, Masbou prouve qu’il réinvente l’époque classique comme personne.

Grâce au grand format, le dessinateur peut aussi donner libre cours à son sens du détail. Certaines planches sont ébouriffantes de densité et de lisibilité. Il ne semble rien se passer ici, si ce n’est une marche du garde-chasse dans la forêt, et pourtant nous plongeons dans chaque vignette comme dans un monde en miniature. Plus loin, la vie sous-marine multiplie des espèces inconnues et titille notre imaginaire. Une bouffée d’air frais.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 29/12/2020 )
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