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Littératureet Romans & Nouvelles  

Le Jongleur de nuages
de Ysabelle Lacamp
Flammarion 2008 /  21 €- 137.55  ffr. / 394 pages
ISBN : 978-2-08-121156-8
FORMAT : 15cm x 24cm

Bouc-émissaire

Première Guerre mondiale dans le Nord de la France ; alors que les combats dans les tranchées mobilisent les troupes françaises et anglaises contre l’ennemi allemand, le pays manque cruellement d’hommes pour effectuer de nombreuses et basses besognes (entretien des camps, récupération des cadavres dans les tranchées, travaux agricoles dans les campagnes…). Pour palier à cette absence de bras, des chinois ont été introduits dans l’Hexagone et ont servi de main d’œuvre à bas coût. Parqués dans des conditions d’existence déplorables, ils doivent aussi subir les railleries insultantes des autochtones du fait de leurs différences physiques, attisant méfiance et peur de l’étranger.

La romancière Ysabelle Lacamp, à travers le jeune Isaïe, aborde cette communauté chinoise vivant aux environs des champs de batailles et restée oubliée de l’histoire. Isaïe, comme ses congénères, a quitté une Chine en pleine guerre civile pour se retrouver dans la mélasse, le sang et le claquement des bombes à des milliers de kilomètres de chez lui. Et il cumule les difficultés identitaires. Car s’il subit les moqueries des paysans et villageois français, il est aussi malmené par ses compatriotes qui le surnomment «nerf coupé». Il est juif et cette différence religieuse est difficilement acceptable et supportable.

Isaïe souffre en silence de ces insultes et leur arrogance. Elles excitent sont besoin vital de trouver la force nécessaire pour assumer ses origines et ses racines culturelles. Accusé du viol et de l’assassinat sauvage de la petite Marie, la petite fille des paysans chez qui il travaillait parfois, il est malheureusement le coupable idéal, parce que c’est un «oui oui» (ainsi surnomme-t-on de façon sarcastique les asiatiques à cette époque) et qu’il est bien plus pratique d’accuser un chinois afin de légitimer le rejet des étrangers : il est obligé de fuir le camp. Ce qu’il prenait comme une chance de liberté n’est qu’un difficile cheminement initiatique agrémenté de rencontres improbables et de situations délicates. Le souvenir de l’espiègle Marie, de son sourire et de sa gentillesse, lui donnera la force de survivre dans ce long périple qui le mènera jusqu’à Paris.

Sur fond de guerre, Le Jongleur de nuages est une démonstration de la difficile acceptation des différences. Interprétées comme des menaces et non comme des richesses, elles conduisent les hommes à se combattre violemment, guidés par la haine et l’incompréhension de l’autre ; les conséquences de la non acceptation de toutes les différences n’ont pas de frontières et sont identiques en tout lieu : les guerres mais aussi des combats plus intimes.

Ysabelle Lacamp écrit avec douceur et légèreté des situations monstrueuses et injustes. Son récit en devient d’autant plus fort et ponctué d’optimisme.

Frédéric Bargeon
( Mis en ligne le 03/11/2008 )
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