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Littératureet Romans & Nouvelles  

Un Bien fou
de Eric Neuhoff
Albin Michel 2001 /  14.96 €- 97.99  ffr. / 208 pages
Académie française 2001
ISBN : 2-226-12656-2

Du danger de l'admiration...

Eric Neuhoff a toujours vécu dans l'admiration d'autrui. Depuis son premier roman, Précaution d'usage, écrivains fétiches et films cultes comme Le Mépris apparaissent dans ses livres, habitant l'esprit et même la vie quotidienne de ses héros. Ce qui prenait parfois dans ses débuts la forme du mimétisme est devenu chez l'auteur, avec l'âge, une agréable compagnie. Et pourtant l'admiration n'est pas sans danger et peut même tourner au drame d'amour...

Au cours d'un séjour à Ponza, le narrateur et sa petite amie, Maud, rencontrent un écrivain américain septuagénaire, Sebastian Brickinger qui, sur le modèle de Salinger, vit caché et ne publie plus depuis des décennies. Un Bien fou est le récit sous forme épistolaire de cette relation à trois et de la blessure qu'inflige l'écrivain au Français qui l'admirait en secret en lui volant la femme de sa vie.

Comme toujours dans les romans de Neuhoff, une femme rayonne. Maud est une petite Française, une Parisienne sublime "insupportablement adorable" dont l'auteur, émerveillé, nous rend aimable les attitudes, le comportement et même les manies et caprices. L'écrivain ne joue pas au fin psychologue, "psychologie, mes fesses !" s'exclame d'ailleurs le narrateur. En fait, il fait partie de ces hommes, plutôt rares, qui avouent ne pas comprendre les femmes et savent si bien parler de leur mystère. "Maud une jambe sur le bras du fauteuil, avec un mocassin tenant comme par miracle au bout de ses orteils. Maud qui attache sa ceinture et se recoiffe en tournant le retroviseur du plafond...

Eric Neuhoff, dans son style, n'a rien perdu de sa fraîcheur, mais il est devenu plus grave et même mélancolique lorsqu'il évoque ici les moments de bonheur vécus par le couple dont on sait, d'emblée, qu'ils appartiennent au passé. Avec beaucoup de justesse et de sensibilité, l'auteur parle de la lente deliquescence d'une relation, de la rupture, de l'absence de la femme aimée qui a laissé tant de traces d'elle dans l'appartement, de la solitude d'un homme qui s'était déshabitué du célibat. "Le samedi matin, je lis les journaux sans pouvoir les commenter à voix haute. Maud me manque".

L'amertume est ici un maître mot. Mais elle laisse place à la haine pour l'écrivain dont le narrateur relit pourtant les livres. Il y a ce vous accusateur qui parcourt le roman et son ressentiment à l'égard de l'infidèle. Le petit Français parviendra à se venger, une vengeance très littéraire qui clôt ce beau roman d'amour dont la morale pourrait être : il faut se méfier de ses idoles et du charme discret mais dévastateur des écrivains...

Ariane Charton
( Mis en ligne le 01/10/2001 )
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