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Littératureet Romans & Nouvelles  

Une vie de choix
de Tahmima Anam
Editions des Deux Terres 2009 /  22.50 €- 147.38  ffr. / 420 pages
ISBN : 978-2-84893-057-2
FORMAT : 13cm x 20,5cm

Traduction de Simone Manceau.

Mère courage

Le Bangladesh fait rarement la une des tabloïds si ce n’est, de temps à autre, un papier pour décrire sa misère ou sa violence, maux qui gangrènent le quotidien de son peuple. Tahmima Anam, née dans ce pays, vient combler cette absence. Une vie de choix se déroule en 1971. 3 trimestres sanglants durant lesquels le peuple bengali - tout au moins les opposants au Pakistan - va gagner, dans une lutte sanguinaire, son indépendance.

Rehanna, la narratrice, ressent toujours le vide provoqué par la mort brutale de son mari, il y a déjà des années. Cette période de légèreté, de simplicité, où Sohail et Maya, leurs enfants, n’étaient encore que de jeunes êtres insouciants, et, elle, une épouse heureuse, naïve et docile, paraît lointaine, presque virtuelle. Rassurant et attentif, Ikbal n’avait pas envisagé, en assureur consciencieux, la crise cardiaque qui le terrassa à la sortie de son domicile, laissant comme ultime trace de son existence, en 1959, une tombe au cimetière de la ville de Dacca. Accablée et désorientée par sa tristesse, la jeune Rehanna n’a pu trouver la force nécessaire pour contrer l’intention autoritaire de son beau frère. Celui-ci ayant estimé qu’elle était incapable d’éduquer ses enfants, il les a fait venir chez lui, à des centaines de kilomètres. Cet arrachement affectif n'aura duré qu'une année. Rehanna en conserve pourtant une culpabilité et un besoin de réparation sans fin vis-à-vis d'eux.

Quand la révolte commence à se manifester, notamment dans la communauté étudiante influencée par les mouvements communistes soviétiques et d’Amérique du Sud, Sohail et Maya sont des adolescents virulents, exaltés par l’élan solidaire d’une population unie dans la revendication de son autonomie afin que le Pakistan oriental devienne le Bangladesh. Engagés ouvertement dans la rébellion armée qui se prépare, leurs absences régulières se prolongent au fur et à mesure des assemblées générales organisées à la fac de Dacca. Rehanna sent que ses enfants peuvent lui échapper en l’excluant une nouvelle fois de leur quotidien et de leur intimité ; elle croit surtout que les liens ainsi distendus finiront par rompre l’amour filial. Elle a toujours craint que Sohail et Maya puissent ne plus l’aimer, puissent avoir le cœur révulsé devant une mère incapable de défendre son droit de garde. Pour ne pas reproduire ce qu’elle pense être une faute inexcusable, Rehanna, dans un comportement relevant de la survie psychologique, s’engouffre dans les idéologies politiques de ses enfants. Elle voit dans son choix une réparation possible, une rédemption vis-à-vis d’un passé qui la torture.

Les risques qu’elle prend engagent sa vie à plusieurs reprises et lui permettent de prendre conscience du courage qui l’habite. Tandis que le pays vit les troubles caractéristiques des pays en guerre, rationnement, omniprésence militaire, colonnes de réfugiés en fuite, morts violentes, Rehanna répare son identité.

Tahmima Anam réussit un roman subtil mêlant un moment essentiel dans l’histoire du Bangladesh et l’introspection d’une femme qui, à bien y réfléchir, pourrait être le cheminement de n’importe quelle mère. Malgré la situation de crise, la narration n’est jamais larmoyante et sentimentale. On y décèle avant tout le courage et la force qu’il est nécessaire de réunir pour affronter ses démons et se dégager du poids du passé. L’énergie de Rehanna et les convictions de la romancière transmettent au lecteur un enthousiasme étonnant.

Frédéric Bargeon
( Mis en ligne le 01/05/2009 )
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