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Littératureet Romans & Nouvelles  

No smoking
de Will Self
L'Olivier 2009 /  23 €- 150.65  ffr. / 345 pages
ISBN : 978-2-87929-643-2
FORMAT : 14,5cm x 22cm

Traduction de Francis Kerline.

Un trop long voyage

Will Self propose un nouveau roman poursuivant son diagnostic anthropologique. Avec No Smoking, l'auteur anglais recourt à l'une des ficelles l'ayant rendu célèbre : exagérer l'infinitésimal social pour nourrir une satire. Car comme ses fidèles le savent déjà, la geste will-selfienne tient de la satire et de l'allégorie, avec cette fois passé au crible, un monde occidental confronté au terrorisme et aux fantômes du colonialisme.

Tom Brodzinski et sa famille louent un appartement de vacances dans un pays lambda. Les premières pages installent des ambiances somme toute normales... Mais l'aventure commence quand Tom jette de son balcon le mégot de sa dernière cigarette, déclenchant un véritable chaos : le mégot tombe sur la tête d'un vieil homme assis devant l'immeuble, qui, alors que Tom accourt pour s'excuser, lui assure qu'il n'y a aucun problème. Tout le monde peut déraper de la sorte, lui assure celui dont on apprend qu'il se nomme Reginald Lincoln. Mais la femme de ce dernier, une indigène, n'est pas du même avis. Chez celle-ci, les traditions et valeurs locales, aussi étranges soient-elles, ont force de loi, et Tom, ébaubi, de se retrouver accusé de tentative de meurtre ! Son avocat lui conseille alors de voyager à l'intérieur des terres pour payer des réparations à la tribu de Mme Lincoln. Ce que Tom fait, accompagné dans son périple par un homme qu'il pense être un détraqué sexuel ! En cours de chemin – et quel chemin ! - les deux hommes rencontreront plusieurs énergumènes, aussi bizarres les uns que les autres...

C'est la dimension symbolique du roman qui frappe le plus à la lecture, d'où un manque parfois perturbant d'informations concrètes. L'intrigue se place dans un pays – peut-être une île -, qui n'est jamais nommé, l'auteur éparpillant quelques détails laissant penser que les Brodzinski évoluent dans des contrées rappelant ici l'Australie, ailleurs l'Irak. Quant à eux, d'où sont-ils ? Leur nationalité n'est jamais évoquée : dans ce cadre volontairement flouté, le lecteur reste comme suspendu dans un espace-temps improbable, un monde fantastique, où l'intrigue se lit comme un rêve, un cauchemar plutôt, qu'il partage avec les Brodzinski. Ce long voyage, sur plus d'une centaine de pages, rappelle par certains aspects Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad.

Une longueur nourrie par la méticulosité du langage ; Will Self polit ses descriptions, celles d'un pays déchiré, ravagé, cherchant toujours, c'est très sensible, à trouver le mot le plus juste possible, au risque d'égarer parfois son lecteur. Ce jeu, sorte de Stop N' Go alliant le flottement du conte et la rigueur du reportage, si elle déconcerte, donne au roman toute sa dimension satirique, une critique des valeurs, des règles, et des systèmes occidentaux. Self dénonce les croyances et les lois arbitraires, tous ces obscurantismes insensés. Et l'on ne peut s'empêcher de songer encore ici à l'Irak, notamment dans ce panorama d'un pays totalement saigné.

Hélas, s'il tient la main de Brodzinski dans son voyage, le lecteur voudra aussi la lâcher, car Tom reste indifférent à ce qui l'entoure. Être sans passion, il finit pas dépassionner. Certes, on se rappellera que dans tout itinéraire, ce n'est pas la destination qui compte, mais le trajet, son épaisseur, et le dénouement, d'ailleurs, ouvre plus questions qu'il n'apporte de réponses. Mais au final, tout cela en valait-il bien la peine ?...

Samantha Joustra
( Mis en ligne le 28/10/2009 )
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