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Littératureet Romans & Nouvelles  

Le Postier Passila
de Alain Beaulieu
Actes Sud 2010 /  18 €- 117.9  ffr. / 192 pages
ISBN : 978-2-7427-9118-7
FORMAT : 11,5 x 21,7 cm

Western postal…

Parce qu’il s’ennuie dans la «grande ville», le Postier Passila accepte nonchalamment un poste vacant à Ludovia, indolente bourgade de province, au milieu de nulle part. L’accueil des habitants est loin d’être chaleureux pour cet «étranger», et Passila se met rapidement au diapason de l’antipathie de ses désormais concitoyens. Sur la place du village, intemporel centre de toute la vie de la cité, les personnages se croisent, sans qu’aucun ne révèle le lourd secret qui semble maintenir Ludovia sous une mystérieuse chape de plomb. Le cyclothymique boulanger, l’indiscret chauffeur de taxi, l’affable et néanmoins mystérieux docteur, l’hôtelière revêche, l’impitoyable policier vont croiser le chemin de notre postier, dont la présence agit comme un révélateur du climat de malaise diffus qui règne dans cette bourgade. Quand Passila rencontre la belle Estrella, il se sent happé dans une passion amoureuse dont le piège va se refermer peu à peu sur lui. Le volcan Tipec, voisin de Ludovia, semble près d’exploser, comme l’atmosphère oppressante qui règne dans ces lieux.

Difficile de s’identifier à cet «anti-héros», un peu pleutre, un peu sournois, un peu ironique aussi, sans aucune passion pour ce qui fait sa vie, juste assez vivant pour survivre dans cet univers inhospitalier. On n’a guère de sympathie pour lui, pas plus qu’on n’en a pour les personnages qu’il croise, et qui s’avèrent peu à peu presque aussi détestables et manipulateurs les uns que les autres.

D’où vient alors le charme du récit, difficile à quitter une fois entamé ? De son intemporalité, de l’anonymat de cette ville, si quelconque qu’on pourrait transposer cette lourde atmosphère baignant le roman dans n’importe quel autre lieu ? De l’intrigue qui peu à peu fait monter la tension régnant entre les habitants de la ville, jusqu’à la révélation des différents secrets tissant leurs relations ? De ce climat oppressant, un récit déroulant de façon quasi-cinématographique les événements d'une tragédie qui explose sourdement ? Les scènes se déroulant au milieu de la place publique font quelquefois penser à un western, avec ses personnages, passant tranquillement du statut de victimes à celui de bourreaux.

Indiscutablement, Alain Beaulieu nous tient en haleine adroitement et subtilement, et l’on reste médusé à la fin du livre : on a accompagné, tout au long des 186 pages de son roman, ces personnages tous antipathiques, troubles et menteurs ; pourtant, on ne sait pourquoi, on les quitte à regret, comme si, malgré tous leurs défauts, on les avait aimés un peu…

«Le postier Passila dépose sa veste sur le dossier de sa chaise, caresse son menton mal rasé d'une main tremblotante puis se plante devant la fenêtre, qui donne sur la rue principale. Ce n'est plus qu'une question de temps avant que le ciel se referme sur lui, se dit-il, que la terre engloutisse le bureau de poste et que le feu jaillisse des ténèbres. Peut-être même les gens de Ludovia sont-ils en danger, auquel cas leur village n'aura été qu'une verrue sur le visage de ce pays dont on se sera débarrassé sans émoi. Car plus rien n'est clair dans l'esprit du postier...»


Alain Beaulieu est professeur de littérature à l'Université Laval (Québec). Il est l'auteur d'une dizaine de romans adultes et jeunesse - tous publiés aux éditions Québec Amérique -, de nouvelles et de textes pour le théâtre. Le Postier Passila est son premier roman paru en France. Il vit et travaille à Québec.

Michel Pierre
( Mis en ligne le 05/05/2010 )
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