L'actualité du livre
Littératureet Romans & Nouvelles  

Corpus delicti - Un procès
de Juli Zeh
Actes Sud - Lettres allemandes 2010 /  20 €- 131  ffr. / 237 pages
ISBN : 978-2-7427-9219-1
FORMAT : 11,4cm x 21,6cm

Traduction de Brigitte Hébert et Jean-Claude Colbus

Portez-vous bien ! (c’est un ordre)

Le monde, en 2057 : il est meilleur, forcément ! l’Etat est devenu, plus que providentiel, paternel, et impose à la société la Méthode, une politique de santé et de bonheur publique efficace, fondée sur l’entraide, le sens de la communauté et l’hygiène de vie.

De votre santé à votre vie privée et sentimentale, rien de ce qui fait votre bonheur n’est étranger à l’Etat. Et il existe même une juridiction spéciale pour vous remettre dans le droit chemin de votre bonheur… Le rêve ? Alors pourquoi Mia Holl, une biologiste de talent, est-elle si déprimée, si rebelle ? Serait-ce la mort de son frère, Moritz, impliqué dans un crime sordide et suicidé en prison ? Serait-ce le DAM, le groupe terroriste qui revendique un droit à la maladie, et qui infecte, par ses théories libertaires, la belle société future ? Serait-ce le poids, écrasant, des autres, de Kramer, le beau représentant de la Méthode, des voisines – amicales et inquisitoriales -, de la justice, si compassionnelle et aveugle, des médias, si compréhensifs ? Partagée entre un monde réel par trop invasif, et un monde onirique par trop subversif, Mia évolue sur le fil d’un rasoir très menaçant, jouant avec la justice, la vérité, la santé et même sa vie… Trop de santé tue la santé ?

Voilà une belle dystopie – un autre «meilleur des mondes» porté cette fois par une idéologie hygiéniste qui vire au totalitarisme. Juli Zeh (La Fille sans qualité, L’Ultime question) livre, avec Corpus delicti, un roman très fin, très subtil, où l’histoire même parfois s’efface devant des idées, des réflexions, alimentées par le monologue intérieur de Mia, l’héroïne. Le style est sobre, et, en même temps, profond, attentif aux images issues d’un paysage intérieur plus tourmenté qu’il n’y paraît. Car dans ce futur uniformisé, les tourments de l’âme sont quasiment devenus un délit (Madame Bovary aurait déjà été brûlée en place publique et Flaubert déporté en Sibérie).

Dans l’absolu, l’Allemagne de 2057 pourrait être un endroit plutôt chouette, où l’Etat lutte vraiment contre la maladie (et les déficits publics) et encourage le lien social et communautaire… Une utopie ? Oui, sans doute, mais quand l’hygiène, assurée par la Méthode, est érigée en dogme, et que le lien communautaire se mue en une surveillance permanente et une invitation à l’autocensure, l’utopie dérape et la dystopie se précise.

Porté par une écriture fine, élégante, sensible aux images, aux formules – et fort bien rendue par la traduction –, ce roman d’anticipation très philosophique plaira aux amateurs d’idées fortes, de raisonnements poussés à l’absurde, et de fables sur le bonheur et comment lui échapper…

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 12/11/2010 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)