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Littératureet Romans & Nouvelles  

La Chaussure au milieu de la route - Variations solipsistes
de Stéphane Beau
Durand-Peyroles 2010 /  14 €- 91.7  ffr. / 104 pages
ISBN : 978-2-915723-32-8
FORMAT : 15cm x 21cm

Talent aiguille

«Variations solipsistes»… Le sous-titre que Stéphane Beau a choisi pour son recueil de nouvelles La Chaussure au milieu de la route convient à merveille. Car la dizaine de narrations brèves qu’il nous propose sont autant de plongées dans des ego obsédés, souvent en retrait ou en décalage par rapport au réel, et qui entretiennent avec le langage une relation pour le moins contrariée.

La tonalité générale n’est guère à l’optimisme, mais bon : depuis quand cette vie est-elle censée nous rassurer quant au sort qu’elle nous réserve ? Au mieux, elle nous ménage quelques surprises comme seul le hasard peut en fournir. Surtout ne rien espérer, et parfois le bonheur se souvient brusquement de votre présence. Ainsi en va-t-il en tout cas pour l’employé des pompes funèbres Jean-Luc Chevreuil, qui ne s’attend pas à un tel chamboulement quand il rencontre la veuve de l’accidenté de la route dont il est allé, la veille, rassembler les morceaux… Ou encore pour Raymond qui, prenant son courage à deux mains, assiste à une séance de thérapie collective afin de se débarrasser de l’addiction qui lui ronge l’existence. Mais même ces rescapés-là ne le sont qu’ironiquement, au fond ; en s’accrochant à la normalité, quand ce n’est à la routine, comme à une bouée de secours, ils faussent compagnie à cette solitude sacrée qui les définissait comme personnages et non comme quidam. Une régression ? Pas vraiment. Plutôt un rétablissement d’équilibre, jusqu’au prochain trébuchement.

Si l’écriture de Stéphane Beau, sobre et relativement «classique», ne recherche pas l’effet, on la sent cependant travaillée de fond par une passion sans faille : celle que l’auteur nourrit envers le Livre. Journal intime présente, en la matière, une parabole tragique du lecteur contemporain : au-delà de l’image du déclassé social qui en est réduit à ne plus se nourrir, organiquement s’entend, que du contenu de sa bibliothèque, ce bref récit illustre toute l’impertinence qu’il y a à rester attaché à la valeur de l’écrit dans une société telle que la nôtre.

Words, words, words… Les délires, minuscules ou cosmiques, qui s’emparent des personnages ne tiennent qu’à cela au fond. Pour l’un, ce sont les paroles taraudantes de Cinnamon girl de Neil Young qui débouchent sur un bain de sang imaginaire ; pour l’autre, c’est, au seuil de l’agonie, les phrases d’un livre longtemps négligé qui apparaissent comme une lecture essentielle, hélas irrémédiablement manquée.

Qu’il se tienne au seuil de l’abîme ou d’un nouveau départ, de l’assomption ou de la chute, chacun des individus imaginés par Beau opère, à un moment ou l’autre, un retour sur lui-même qui va le bouleverser. Voilà pourquoi ces narrations obéissent à un subtil mouvement circulaire, qui se boucle sans faire de bruit, mais qui reste insensiblement dans la mémoire et y sème le trouble. On revient en arrière sur le chemin, on retrouve la même chaussure que l’on était pourtant persuadé d’avoir ramassée, trois pages plus tôt ! Puis on comprend le message, plein de bon sens : à trop vouloir marcher droit, le quotidien aussi peut se tordre la cheville… C’est le moment que choisit en général la littérature pour lui emboîter le pas.

Frédéric Saenen
( Mis en ligne le 17/11/2010 )
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