L'actualité du livre
Littératureet Romans & Nouvelles  

Vivre encore un peu
de Christophe Donner
Grasset 2011 /  14 €- 91.7  ffr. / 189 pages
ISBN : 978-2-246-77901-8
FORMAT : 13cm x 20,5cm

L'auteur du compte rendu : Arnaud Genon est docteur en littérature française, professeur certifié en Lettres Modernes. Enseignant à Casablanca, il est Visiting Scholar de ReFrance (Nottingham Trent University). Auteur de Hervé Guibert, vers une esthétique postmoderne (L’Harmattan, 2007), spécialiste de l’écriture de soi dans la littérature contemporaine, il a cofondé les sites herveguibert.net et autofiction.org

Hommage au beau-père

La vie de Christophe Donner est un roman, tout au moins s’arrange-t-il à la raconter ou à la vivre de façon à ce qu’elle le devienne. Mais transformant le vécu en livres, il échappe cependant à tout ce que l’on reproche – souvent à tort – à ceux qui ont décidé de mener semblable entreprise. Car ce qui intéresse l’auteur dans sa propre vie, c’est la vie des autres…

Avec L’Empire de la morale (Grasset 2001), dans la lignée de Mes Parents d’Hervé Guibert (Gallimard, 1986), Christophe Donner réglait ses comptes avec son père communiste et sa mère psychanalyste. Le père réapparait bien le temps de quelques pages ici, mais c’est pour mieux le remettre à sa place : aux oubliettes. Car celui qui occupe l’attention du narrateur de Vivre encore un peu, c’est le beau père, Elias Chamoun, cent-quatre ans. Et celui-là, il «déraille complètement».

Doit-il ou non aller à l’hospice ? Pour le savoir, il faut se rendre à Beyrouth où le vieil homme est arrivé en 1911. Le voyage s’effectue avec Dora, la femme du narrateur, et Antoinette, la belle-sœur. Là-bas, ils retrouveront tout le reste de la famille. Si Elias est à un âge où il devrait mourir, nous dit «Monsieur Christophe», lui, le vieil homme, «n’est pas pressé que ça lui arrive». «Vivre encore un peu», c’était là la réponse de la grand-tante grabataire d’Hervé Guibert à la question «Qu’est-ce que tu voudrais maintenant Suzanne ?», que lui posait son petit neveu dans le film qu’il réalisa à la fin de sa vie, La Pudeur ou l’Impudeur. C’est semble-t-il aussi le souhait du vieil Elias même si son gendre voudrait bien, afin d’éviter le spectacle de «cette ruine désolante», «l’accompagner gentiment vers la mort, il [lui] tiendrait le bras comme quand on sortait de l’église, il mourrait en s’enfonçant dans la question de Dieu. Mais il ne veut pas».Il aurait joué aux courses, nous dit Christophe Donner, turfiste invétéré, il ne serait plus là depuis longtemps. Mais son truc, à Elias, c’est le loto…

Ce retour à Beyrouth, dans la maison «du vieux», amène le narrateur à s’immerger dans les histoires de la famille Chamoun qui constitue un parfait sujet de roman. Il y a Pierre, le fils en qui le père à toute confiance, Antoinette, la fille déchue qui a déshonoré son père en tombant enceinte sans être mariée. Et les autres. Il y a aussi la femme, Farah, qui déballe tout de son non amour : «Ils ont été heureux en entrant dans la boutique du bijoutier Tabbah et pendant le repas de fiançailles, mais après ça, rien, plus jamais. Quarante et quelques années de reproches, de mépris, de guerre au milieu de la guerre». Alors qu’on croit qu’Elias se meurt, on appelle le prêtre pour lui donner l’extrême onction : «Ils tremblent, Farah a de plus en plus de mal à se retenir. Elle fait semblant de pleurer dans son mouchoir, mais voilà le ciboire tombe par terre avec un tel bruit de casserole, alors elle ne peut plus se retenir, elle éclate de rire».

Qu’il est tendre ce portrait d’un homme exaspérant, tendre, plein d’amour et en même temps sans concession. Amusant aussi, cocasse, très souvent. On ne sait plus s’il doit mourir ou pas, cet Elias. Attachant, irritant, attachant de tous ses vices, humain. On l’aime bien cet homme-là, de même que l’on aime bien sa femme dans la haine de son mari. On pouvait lire L’Empire de la morale comme un règlement de comptes avec ses parents. Vivre encore un peu est l’hommage à son beau-père. La fin que Christophe Donner lui offre – celle qu’il aimerait, à n’en pas douter, connaître lui-même – ne peut s’interpréter autrement…

Arnaud Genon
( Mis en ligne le 07/02/2011 )
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