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Littératureet Romans & Nouvelles  

Lolita
de Vladimir Nabokov
Gallimard - Du Monde Entier 2001 /  22.9 €- 150  ffr. / 480 pages
ISBN : 2-07-075723-4

Que reste-t-il de Lolita ?

Que dire aujourd'hui de Lolita? On sait que Nabokov regrettait de devoir sa renommée à ce roman dont on ne manqua pas de dire qu'il fut plus ou moins écrit par sa femme. Comme il arrive souvent, l'ombre occulte la proie, on est obnubilé par le scandale - le roman fut longtemps sous la censure - qu'il provoqua à sa parution: en donnant ses lettres de noblesse à une perversion - la pédophilie - Nabokov venait narguer, d'assez vive manière, l'Amérique bien-pensante et puritaine des années 50. Cela dit, une fois passée la provocation, la subversion émoussée, que reste t-il aujourd'hui d'un tel livre ? On pourrait répondre un peu sèchement, dans un jugement à l'emporte-pièce, qu'il paraît aussi fade que l'adaptation hollywoodienne (par le jeune Stanley Kubrick) à laquelle il donna lieu. Qu'il a aussi mal vieilli, par exemple, que L'Amant de Lady Chatterley de Lawrence, dont l'alerte préface pouvait cependant laisser augurer du meilleur.

Mais comme on dit familièrement, il n'y a pas que ça. Réduire Lolita à la chronique d'une perversion, c'est voir dans les quelques 468 pages (dans la traduction française) que constitue le roman le déploiement d'une assez piètre et inintéressante figure de style : celle que les stylisticiens désignent sous le nom d'"amplification". Lolita n'est pas seulement le corps interdit que le narrateur consomme, c'est aussi l'impalpable corps romanesque, la muse que l'écrivain rêve. Baudelaire l'avait imaginée malade, vénale Nabokov la réincarne sous les traits d'une fillette de douze ans. La grandeur du narrateur est d'avoir su voir Lolita, tel Monsieur Bovary son Emma. Son drame qui donne naissance au livre - basculement de l'idéalisme (romantique) dans le prosaïsme (moderne) - est de n'avoir pas su la respecter.

On insiste sur la charge érotique, et on oublie que le roman prend un second souffle une fois métamorphosé en improbable road movie - chronique de la défaite annoncée d'Humbert Humbert - où joue à plein la veine ludique de l'écrivain. Lolita n'est pas un astéroïde venu de nulle part. Flirtant avec les limites du polar, le roman tisse des liens avec l'oeuvre antérieure, notamment La Méprise qui met en scène une autre fascinante figure d'histrion. On retient le portrait du narrateur en quinquagénaire libidineux - ce qu'Humbert Humbert est aussi, bien sûr - mais on passe sous silence cependant les éclairs de poésie dont le livre est traversé, dont il est fait. De même on parle volontiers de "l'érotisme trouble" de Balthus, peintre de la campagne de Chassy mais aussi des adolescentes prépubères. Et l'on est moins disert sur ses dessins de fillettes endormies, sur ces toiles où elles ont la grâce d'oiseaux dessinés par Paolo Ucello (Nu au foulard, Nu au miroir, etc.), véritables odes à l'innocence, "enfantines" légères et impassibles que rien ne trouble.

Thomas Regnier
( Mis en ligne le 07/06/2001 )
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