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Littératureet Romans & Nouvelles  

Ceux qu'on jette à la mer
de Carl de Souza
L'Olivier 2001 /  16.79 €- 109.97  ffr. / 208 pages
ISBN : 2-87929-308-1

L'odyssée du désespoir

Pour son quatrième roman, Carl de Souza aborde un sujet peu traité par les écrivains : le sort pathétique des immigrants clandestins et, plus précisément, de ceux que l'on surnomme depuis la fin des années 70 - qu'il s'agisse des Cambodgiens ou des Cubains - les boat people. Ce qu'évoque d'emblée le livre, c'est l'expérience du déracinement, moins volontaire que subi. Dans le navire en partance de Kwan Chou en Chine, Tian Sen, le héros de cette histoire, s'adresse - magnifique prosopopée, entre la veille et le songe - à ses amis qu'il a laissés au pays : "Hoy, Liling, vos noms me passent par la gorge en des filets rares et brûlants alors que je croyais en être réduit au même état que les autres..." Un peu plus loin, les yeux tournés vers le ciel, il décide, faute de connaître le vrai nom des étoiles, de leur donner celui de ses amis.

Carl de Souza suggère que la destination de ce voyage - Haïti ? La liberté ? Une vie normale ? - est une chimère : le pays où l'on n'arrive jamais, comme chez Melville. Mais, pour le romancier américain, l'interminable, l'absence d'issue étaient un enjeu d'ordre métaphysique. Ici c'est du réel qu'il s'agit, des laissés pour compte du système politique : ceux que la vie recrache ou, comme le dit le titre, "jette à la mer". Très vite, la situation se dégrade. Les exilés connaissent la faim, la maladie. Contre un chef aux intentions indéchiffrables, la mutinerie menace. Le voyage est d'une lenteur extrême, comme le sont les pas de ceux qui, chez Dante, patientent au purgatoire.

Parmi les passagers, certains ont des rêves de carrière, d'autres veulent rejoindre les membres de leur famille en Europe. Comme le flou géographique du roman le souligne, c'est de la condition de tous les exilés que Carl de Souza veut témoigner à travers sa fiction. Si le roman de cette interminable et effroyable odyssée échappe aux facilités du pathos comme à cette "pensée binaire", sommairement manichéenne, il y parvient non pas parce qu'il penserait plus loin, mais parce qu'il reconnaît tacitement que le chaos et l'absurde règnent en maître sur le monde.

"Aujourd'hui, qu'y a t-il de vrai sinon les soubresauts du navire ? Les portes de la Chine que nous ne parvenons pas à franchir, ce qui nous attend en Haïti ? Ma propre peur dont je refuse l'existence."

Thomas Regnier
( Mis en ligne le 26/10/2001 )
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