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Littératureet Romans & Nouvelles  

Fée d'hiver
de André Bucher
Le mot et le reste - Ecrits 2012 /  16 €- 104.8  ffr. / 153 pages
ISBN : 978-2-360-54037-2
FORMAT : 14,8cm x 21cm

André Bucher, un écrivain entre terre et ciel

André Bucher est écrivain, agriculteur biologique et bûcheron. Depuis plus de trente ans, il vit aux confins de la Drôme et des Alpes de Haute-Provence, dans la vallée du Jabron. Dans ce lieu sublime et sauvage, entre terre et ciel, l’écrivain des grands espaces, druide à la barbe broussailleuse, regard bleu, invente des récits de hautes solitudes, de résistances. Il publie Fée d’hiver, son sixième roman aux éditions Le mot et le reste.

Deux frères de guingois reprennent à la guitare une chanson de Bob Dylan. Richard l'aîné boîte à cause de la guerre d'Algérie. Daniel le petit est muet. Un voile noir pèse sur le récit. Un drame de la jalousie. La mort tragique des parents. Daniel joue au sourd-muet. «A chaque fois on terminait le morceau avec l'impression que l'étau qui nous comprimait avait lâché, que notre poitrine lacérée s'était élargie. (…) un cri silencieux faufilé par le nez et distillé peu à peu par les yeux». Ce chant de Dylan fait remonter à la surface le traumatisme de l'enfance. Le roman s'ouvre avec le journal de Daniel. Richard découvre le journal et répond à son frère. Nous sommes dans la Drôme du sud, aux Rabasses, en haut du col de Perty. Présent, passé composé, passé simple et imparfait, comme des couches géologiques de la mémoire. «Alice, c'était ma fée d'hiver», écrit Daniel en mars 1975. Le récit est elliptique. Avec Alice, c'est une amitié amoureuse, les mots pour elle, les silences pour lui. Elle a treize ans de moins. Elle s'échappera. C'est la sœur de «ces deux cons de Robert et Pierre». Ces trois-là sont les enfants du «monsieur de la scierie», en bas du col, avec qui se promenait la mère de Richard et Daniel. Les Monnier et les Lacour.

«Et puis, lui qui autrefois l'aimait tant, la neige sur le sang, la terre déchirée. La neige mensongère répandue sur les routes, les champs, les arbres détroussés de leurs feuilles». Vladimir – il n’a plus de nom de famille – est un autre personnage de la perte et de l'exil. Il traverse le chaos de la guerre dans les Balkans. Bûcheron, il fuit en Slovénie. Puis la Serbie, le Monténégro au bord du «lac noir de Durmitor», l'Italie. Un «vieux bonhomme» le guide par le col de Fréjus. Il vit au jour le jour de petits boulots : Grenoble, Gap, parc régional du Lubéron. En 1998, Vladimir arrive dans le canton de Séderon. «(…) en tant que bûcheron, tu devrais pouvoir trouver. Plus personne ne veut faire ce boulot». Le récit progresse de chapitres en chapitres, de personnages en personnages. Après Vladimir, Alice et sa vie désaccordée. «(…) on a qu’une envie : se retrouver au lit avec l’amour. Certainement pas avec des gants de boxe». Viendra un temps à la fin du livre où les voix seront mêlées, pour dire une communauté possible. Mais menacée.

Pour Alice, l'arrivée de Vladimir, c'est une échappé belle, amoureuse et sensuelle. Pour Daniel et Richard, c'est un frère de solitude à aider. Mais pour Robert, Pierre et Louis, le cousin, qui entre-temps a épousé Alice, c'est un géant qui finit par gêner. Tragique processus de répétition de la violence. Alors, comme un sursaut, entre terreur et beauté, entre terre et ciel, ils résistent.

André Bucher, arpenteur des émotions enfouies, installe ses personnages dans un royaume intermédiaire, entre fait divers et conte de fée. Il détourne le roman noir. Dans une danse du fond et de la forme, il accompagne le combat de liberté de ses personnages, leur quête d’amour, d’amitié et de beauté. Une écriture à fleur de peau. Sans pathos. Un récit épuré. Des voix-récits qui se rejoignent et se répondent. Une ribambelle d'expressions imagées dit la vie du ciel et des nuages, des montagnes, du soleil et de la lune, de la neige et du vent, des étoiles, de la lumière et des ombres. Imagées mais pas abstraites. «Où vont les petits nuages les poches gonflées de noisettes au lait en dépassant au sommet du col d’un tour de piste les écureuils sur leur vélo ?» Enfance du langage ; emprunts à l’oralité et au sens populaire, paysan ; effet de sidération ; propagation des affects. La nature n’est pas un décor mais un être animé.

La Cascade aux miroirs mettait en scène l’affrontement du feu et de l’eau. Fée d’hiver accompagne le baiser de l’air et de l’eau. Un bestiaire habite cette histoire : ours, héron, cerf, lapins blancs, chien, moutons, mulots, hirondelles, grenouilles, aigle, merle blanc, corbeau, castors, corneilles, rouge-gorge, brochet, papillons... Entre réel et imaginaire. Les descriptions ancrent le récit dans une réalité concrète : technique de la coupe du bois, géographie, botanique, géologie. Les souvenirs rebondissent sur des objets transitionnels : une veste, une poupée, un ours en peluche, des galets… Ces galets sont métaphores du jeu littéraire, détours de la grammaire (zeugmas, inversions, métaphores filées, double sens concret/abstrait…), ricochets des mots et des sons, des images et du sens, musicalité de la phrase. «Langue source, eaux sourdes de ma bouche». Inventer une langue pour une expérience sensible. Traversée des ombres. Féérie fragile.

Benoît Pupier
( Mis en ligne le 30/03/2012 )
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