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Littératureet Romans & Nouvelles  

Bordeaux-Vintimille
de Jean-Baptiste Harang
Grasset 2013 /  12.10 €- 79.26  ffr. / 121 pages
ISBN : 978-2-246-78571-2
FORMAT : 12,2 cm × 19,0 cm

Train d’enfer

Tout commence par la description d’un visage ; celui de Rachid, algérien d’Oran venu en France pour rencontrer une femme avec qui il a correspondu et dont il espère secrètement faire son épouse. Mais Patricia n’est pas amoureuse, elle l’éconduit gentiment, et Rachid repart chez lui, en train d’abord jusqu’à Marseille, puis en bateau pour traverser la Méditerranée. Il ne la traversera jamais plus ; dans le train, il va rencontrer son destin, sous les traits de trois jeunes, candidats à la Légion Etrangère, candidats surtout pour une «bastonnade», qui vont le massacrer et le jeter par la portière du train en marche, sans qu’on sache jamais s’il était encore vivant ou déjà mort.

C’est un fait divers authentique que nous raconte Jean-Baptiste Harang : l’affaire du «Bordeaux-Vintimille», en novembre 1983, dans laquelle un Algérien est mort sous les coups de trois monstres, et – presque - sous les yeux des 95 passagers du train, qui n’ont pas bougé durant les quelques heures du massacre. Roger Hanin, à l’époque des faits, avait tiré de cet événement un film, Train d’enfer, où la tentative d’interprétation des actes faisait perdre de sa force au message délivré.

Un fait divers horrible dans sa banalité, monstrueux dans sa bêtise, dont l’auteur, qui était correspondant pour Libération à Toulouse au moment des faits, nous livre le moindre détail, en reprenant les faits bruts et en imaginant des dialogues à partir du récit fait par les assassins lors du procès. Aucun pathos, aucune explication ou recherche de justification dans son récit. Son style est cinglant, comme s’il jetait le livre à la figure des assassins et des témoins (du lecteur ?) qui n’ont pas su – pas pu ? - empêcher ce drame. La froideur de la description des faits n’en prend que plus de force, et l'on reste glacé devant tant d’ignominie.

On pense quelquefois au récit que Jacques Chessex fit de l’assassinat d’un marchand de bestiaux en Suisse à la fin des années 30, dans Un juif pour l’exemple ; même sécheresse, même absence de jugement, c’est le lecteur qui doit aller lui-même au bout de l’horreur et se forger sa propre interprétation des faits.

Michel Pierre
( Mis en ligne le 15/02/2013 )
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