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Littératureet Romans & Nouvelles  

Impossible de grandir
de Fatou Diome
Flammarion 2013 /  21 €- 137.55  ffr. / 405 pages
ISBN : 978-2-08-129029-7
FORMAT : 14,6 cm × 22,0 cm

Joie de vivre !

«Je m’appelle Salie, les rétines brûlées à scruter la vie, je voudrais m’endormir, mais je ne peux m’empêcher d’écouter les anges de la mémoire qui chuchotent la nuit et me réclament leur vie d’antan».

C’est ainsi que s’ouvre ce beau texte de Fatou Diome, Impossible de grandir. Impossible de grandir pour la petite fille, enfant illégitime, marquée par le secret de sa naissante infamante pour la famille, sa petite enfance avec sa «sœur» (en réalité sa mère biologique) et sa «mère» (en réalité sa grand-mère donc). La bonté de ses grands-parents, mais aussi les diverses humiliations que lui réservent ses oncles et tantes, la dureté de la vie au quotidien dans une Afrique pauvre que Fatou Diome, franco-sénégalaise, connaît bien.

Venue en France, son héroïne, Salie, dans ce texte largement autobiographique, peine à trouver sa place, ce qui se traduit entre autres par le refus d’aller dîner chez les autres en général, et chez son «amie» Marie-Odile en particulier. Et ce refus obstiné qui la dépasse l’entraîne brutalement à s’interroger sur son comportement. Fatou Diome déroule alors un long monologue inspiré qui reprend par bribes et fragments la vie de Salie, et cette ''Petite'' qui l’habite et lui dicte sa vie, lui mesure ses libertés, la freine dans ses envies. Un leitmotiv repris régulièrement dans le roman : «Une petite fille me poursuit, me harcèle, m’assiège ; après quelques décennies de lutte, je ne peux toujours rien contre ses assauts ; parfois, croyant agir à ma guise, je découvre avec stupeur que je ne fais que succomber à ses humeurs : grandir semble impossible !»

C’est encore la nuit que Salie survit le mieux, au calme. Pourtant, progressivement, grâce aux «mots au goût miel de forêt», Salie apprend à goûter les plaisirs de la vie, elle découvre comment concilier mémoire douloureuse et présent : «la résilience est-elle une résignation ou une réfutation ? (…) On ne résilie pas les malheurs de notre histoire comme on résilie un contrat léonin. Je ne niais aucun des souvenirs douloureux de la Petite. Je ne prétendais pas non plus les transformer en strapontin, encore moins en couronne de laurier. Ils constituaient simplement la ligne de défi où, lutteuse niominka, j’enfilais galokalé, mon gnimb, ma tenue de combat pour affronter la réalité. Réparer une âme blessée par le passé, c’est se lancer à la conquête de la vie, cela demande une véritable impulsion. (…) Une blessure ne laisse qu’une douleur qui, avec le temps, ne devient rien d’autre qu’une cicatrice, c’est-à-dire le souvenir d’une douleur». Pour conquérir la vie, Salie danse, écrit, se réapprivoise et apprend à vivre avec la ''Petite'' : «Ce n’est pas vivre qui est difficile mais le processus par lequel on passe pour accepter de vivre, avec tout ce qu’on porte en soi».

Après Le Ventre de l’Atlantique (2001), Ketala (2006), Inassouvies, nos vies (2008), un nouveau roman de Fatou Diome, récit tissé de souvenirs sénégalais et de la réalité de l’exil en France, terre d’''adoption''. Une voix originale. Un beau texte.

Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 15/07/2013 )
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