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Littératureet Romans & Nouvelles  

Nous sommes jeunes et fiers
de Solange Bied-Charreton
Stock 2014 /  18 €- 117.9  ffr. / 236 pages
ISBN : 978-2-234-07489-7
FORMAT : 13,5 cm × 21,5 cm

No future

Solange Bied-Charreton avait habilement égratigné nos névroses fièrement étalées, ''twittées'', ''postées'' sur Facebook et autres plate-formes dans Enjoy. Une gentille entreprise de démolition qu'elle poursuit dans un titre tout aussi cynique : Nous sommes jeunes et fiers.

Ou la peinture informée, assumée, désabusée, d'une génération que la jeunesse quitte, comme le transfert fissuré, délavé, troué même, de ces T-shirts qui pouvaient autrefois nourrir des fiertés adolescentes ; l'aplomb de brillants diplômés, l’arrogance de jeunes cadres dynamiques, les espérances folles de fonctionnaires encore verts, sortis, frais émoulus, du système des concours... avant que ne les dévorent le Léviathan administratif, l'inertie sociale, le lest terrible d'une époque fatiguée. La nôtre.

Car Ivan et Noémie, le top-modèle et la prof du secondaire, c'est un peu nous aussi : jeunes plus si jeunes, urbains que l'azote et le carbone ont défraîchis, et qui vont d'une mode à l'autre comme on enchaîne les lianes, pour ne pas tomber : les appartements design et feng-shui, les brasseries rétro, la nourriture bio, la culture pour tous, mangerbouger.fr, le retour aux sources, la défense du patrimoine, l'horreur du racisme, l'individualisme débridé d'une génération sans repère et donc en quête de cadres, la relaxation dirigée, le fantasme du ''Bon sauvage'' que Noémie croit reconnaître dans la tribu des Penarak, découverte lors d'une exposition au Quai Branly. Elle ? Les siens ? "Un bétail émotif, de jolies bêtes de somme, qui se rêvaient uniques au monde et poursuivaient pourtant, parfois sans concertation, les mêmes idéaux vains'' (p.70).

Une génération née au terme des Trente Glorieuses, qui en porte aussi bien l'élan impulsé par les pères qu'elle souffre de son essoufflement et de ses impasses, les apories sociales, économiques et culturelles d'une société de consommation sans croissance, dévoreuse mais dépecée, hyperactive et aveugle, dans l'absence douloureuse d'une immanence. "Ils n'appartenaient à aucune époque s'ils appartenaient à la leur. La leur était de toutes, elle se souvenait de toutes et les oubliait toutes. Elle les englobait toutes" (p.24).

Car le roman signale cela, l'absence d'une verticalité, d'un horizon qui monte, dans une société qui a oublié ou décimé ses dieux et se recroqueville donc dans de sombres assurances, hexagonales et racistes. C'est l'identité française et ses lamentos agoniques qu'Ivan et Noémie portent aussi malgré eux, et que Solange Bied-Charreton ausculte. "La France était surtout le nom d'une carte postale" (p.187).

Le scalpel brille, tranchant comme il se doit, sans bavure ni projection. Propre, la plume est classique, belle, imagée, sure d'elle. Elle porte ce roman et le plaisir de la lecture, quand bien même la fin, quoique logique, déçoit un peu. Un beau second roman, donc, et une prose hélas symptomatique d'une société qui ne va pas bien, un pessimisme à la géométrie fractale, déprime recomposée/décuplée de l'individu à une génération, d'une génération à une société et de cette dernière à une civilisation : nous sommes vieux et dépités...

Thomas Roman
( Mis en ligne le 17/02/2014 )
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