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Littératureet Romans & Nouvelles  

Après l'Equateur
de Baptiste Fillon
Gallimard - Blanche 2014 /  17.50 €- 114.63  ffr. / 219 pages
ISBN : 978-2-07-014299-6
FORMAT : 14,2 cm × 20,7 cm

Voyage au bout d’une double vie

Dans ce remarquable premier roman, Baptiste Fillon nous embarque sur le cargo de Tonio, marin en fin de carrière, entre Marseille et Salvador da Bahia au Brésil. Deux mondes, deux vies, et beaucoup plus…

Il y a cette vie à bord, le travail du bosco et l’activité des marins : ennui, rêves, violence d’une équipe où chacun a sa propre histoire, sa propre couleur de solitude, la cabine de Tonio où il se réfugie, roulé, ballotté par la houle et le vague à l’âme d’une mémoire douloureuse. «Marre d’être l’absent, celui qui ne raconte pas ses secrets… un fantôme de père et de mari».

Ce récit masculin mêle le quotidien aux souvenirs et anecdotes, présent et passé, ici et ailleurs. La bouteille à la mer qu’on lui a fait jeter au large des Açores quand il était novice, tout l’équipage complice du numéro : «Tu la fermes bien... et ta mère la recevra à Marseille». Au fil des pages se précisent les deux vies, les deux familles de Tonio, Patricia et ses deux filles à Marseille, Marisa et son fils Jô à Bahia. Et le choix qu’il faudra bien faire. «Je me rêvais en Bahianais, né à l’autre bout du monde, de parents mis en terre dans des pays rayés de la carte».

Nous débarquerons avec lui au Brésil, nous ferons connaissance avec Jô, Marisa, les façades pastel de Salvador, la Rome noire, les rues aux arômes aillés de la moqueca, les parfums de vanille, de noix de coco ou de linge sale, le vent, la lumière, Marisa si vivante, «désabusée, joyeuse, transie de langueur… Elle avait déjà eu des histoires d’amour, des tristes et des passionnées. Pour elle, l’amour était un mal nécessaire».

Un bon roman donne du grain à moudre à l’imagination, et «lire, ça donne l’impression d’exister mieux». Le récit paraît simple et tout s’en mêle : ciel et mer, couple, père et fils, le temps qui passe, réalité, rêve et ivresse… On vit entre deux. Baptiste Fillon a l’art d’associer en permanence la double face des choses, le jour aux ombres, le présent au passé, impliquant par là toute une vie sensible. Ainsi, quand les marins s’amusent et qu’un des leurs se met à jouer de sa guitare, il en tire «une paix chaude et amère… indifférent à sa propre existence». Le rythme des phrases, le jeu des paragraphes, les ruptures ou accélérations font danser cette histoire qu’on aimerait lire à voix haute. L’auteur n’a pas peur des mots et c’est heureux. Son lyrisme bridé donne au récit charme et âpreté.

Tonio continuera son voyage et reviendra à Marseille retrouver Patricia avant de devoir choisir sa vie. «J’avais tout à perdre… La vérité pouvait tout mettre à bas». Partir ou rester ? «Je me préparais à devenir un salaud intégral, un père inexistant, un mari disparu». Faudra-t-il franchir encore cette ligne d’équateur séparant ses deux mondes, ses deux vies dont il ne sait plus laquelle est la vraie ?...

La quête de Tonio est la nôtre. Le roman est aussi une bouteille jetée dans les vagues, bouteille… au père ? Celui de l’écrivain était… marin. Avait-il trouvé, lui, la réponse : comment échapper au désenchantement ?...

François Dirson
( Mis en ligne le 03/03/2014 )
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