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Littératureet Romans & Nouvelles  

Le Miroir de Lorrain
de Tom Bullough
Calmann-Lévy 2014 /  18.50 €- 121.18  ffr. / 237 pages
ISBN : 978-2-7021-4413-8
FORMAT : 14,0 cm × 21,5 cm

Marie Boudewyn (Traducteur)

L’enfant sauvage

Situé en 1980-1981 (l’histoire commence au moment de l’assassinat de John Lennon) dans le Radnorshire, à la frontière galloise séparée de l’Angleterre par une longue bande de terre, la levée d’Offa, le deuxième roman de Tom Bullough nous conte l’histoire d’une amitié inattendue de deux enfants de sept ans, des enfants que tout sépare.

Andrew, petit être fragile, enfant sauvage, toujours en haillons et d’une saleté repoussante, négligé par ses parents à demi-fous dont la vie est une lutte contre la misère, souffre de la violence extrême de son père. Il ne parle presque pas et cherche du réconfort auprès des chiens de la ferme, blotti dans la grange : «t’es là fiston ? demanda-t-il. Puis constatant que c’était le cas, il saisit un morceau de mouton entre ses doigts, le plongea dans la crème et le lui jeta» (p.50).

Robin vit dans une ferme voisine. C’est le fils aimé, avec son frère Martin, de deux hippies anglais qui ont un idéal de vie à la campagne. Adam a choisi de devenir éleveur de moutons et Tara écrit des poèmes après avoir voyagé, jeune, jusqu’en Inde, destination mythique dans ces années-là. Ils vivent dans des conditions spartiates mais l’amour remplace le confort. Le roman prend la forme d’un conte avec des méchants comme Philip, le père d’Andrew et le Sheenah, personnage maléfique imaginé par Robin, entouré de légendes, de châteaux et de dragons. Les gentils sont représentés par Tara et Adam, doux paysans idéalistes.

En explorant une partie abandonnée de sa maison qui fut le domaine du beau-frère du poète William Wordworth, Andrew trouve un petit miroir ancien convexe de Lorrain, que le peintre Claude Gellée, dit le Lorrain, au XVIIe siècle, employait pour construire ses paysages sur la toile. Au XVIIIe siècle, les artistes et les touristes l’utilisèrent aussi pour voir le paysage comme un tableau. Cet objet magique permet, grâce à Tara, de rapprocher Andrew qui sort de son isolement et Robin. «Le prince Robin et le prince Andrew étaient les plus nobles et les plus vaillants des princes et ils avaient une superbe chienne baptisée Diana (…) et ensemble, ils allaient renverser le Sheenah» (p.150). Mais le conte se dilue dans une histoire sombre d’adultes qui se disputent un terrain. Leurs différends rejaillissent sur les enfants, les séparent... et la fin du conte est triste.

Tom Bullough nous offre une magnifique description des paysages gallois au cœur desquels il a grandi. Il n’idéalise pas la vie rurale et montre au contraire la nature parfois hostile et les embûches de la vie à la campagne. C’est un très beau roman, qu'on pourrait dire bipolaire, sur le pouvoir de l’imagination, ce doux refuge face aux obstacles que la réalité inflige aux enfants et aux adultes. De l’impossibilité humaine de voir le monde tel qu’il est et du besoin de se raconter des histoires à condition qu’elles soient plus belles que la dure réalité.

Eliane Mazerm
( Mis en ligne le 21/04/2014 )
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