L'actualité du livre
Littératureet Romans & Nouvelles  

Le Démon avance toujours en ligne droite
de Eric Pessan
Albin Michel 2015 /  20 €- 131  ffr. / 310 pages
ISBN : 978-2-226-31249-5
FORMAT : 14,0 cm × 20,5 cm

La malédiction des femmes

«Ton père a été emporté par ses démons
Comme ton grand-père
On n’échappe pas à ses démons
Personne
Jamais»
(p.18)

Comment savoir qui l'on est, comment vivre avec les accusations proférées par la mère et la grand-mère paternelle, avec tant de haine et de mépris, à l’encontre du héros du dernier roman d’Eric Pessan, David Le Magne. Par cette malédiction répétée, il a vécu une enfance prisonnière de ces deux femmes engluées dans leur rancœur.

David travaille dans une radio associative de Bordeaux où il prend un congé sabbatique pour se retrouver lui-même ainsi que ses racines. De Buchenwald où il n’existe aucune trace du grand-père soi-disant déporté qui a fini clochard à Bordeaux jusqu’à Lisbonne où, comme le héros de Train de nuit pour Lisbonne de Pascal Mercier, il erre dans la ville pour exorciser ses démons, persuadé au début de retrouver son père dans la rue. Ils sont puissants, ces diables défigurés, horribles à voir et à sentir, qui ont emporté les hommes de sa famille, son père ayant disparu en 1975 quand David avait deux ans.

«C’est ainsi que Roger Caillois définit le fantastique. Je suis victime d’une malédiction surnaturelle. Tout le fantastique est rupture de l’ordre reconnu, irruption de l’inadmissible au sein de l’inaltérable légalité quotidienne» (p.112). David est persuadé que la clochardisation est héréditaire, que dans ses gènes se trouve celui de l’abandon de sa future progéniture, quand Mina, sa compagne, lui réclame ardemment un enfant.

Mais il est un homme comme ceux de sa famille, qui finissent à la rue par lâcheté ou à la recherche d’une chimère introuvable. Dans Lisbonne, chaque clochard rencontré, sale et répugnant, pourrait être son père. En fait, il ne le recherche pas vraiment, marchant au hasard dans la ville et se saoulant chaque jour pour oublier ses démons.

Pour Tzvetan Todorov, «le fantastique c’est l’hésitation éprouvée par un être qui ne connaît que les lois naturelles face à un événement apparemment surnaturel» (p.217). C’est bien là que le bât blesse pour notre héros qui souffre de son enfance prosaïque mais emplie de démons négatifs, d’anathèmes, d’omissions et de mensonges ; dans ce roman hanté par la disparition, la malédiction, le héros est saccagé et n’a plus la force d’être un homme normal et un bon père.

C’est une descente en enfer, à la lisière de la réalité et du fantastique, aussi fascinante qu’inquiétante, malgré quelques répétitions sur cette enfance traumatisante, qui nous empêchent de suivre son cheminement intérieur. Les paragraphes commencent par un mot ensuite développé et c’est bien agréable, sauf si celui-ci revient trop souvent. S’il avait réussi à trouver la trace de ses géniteurs qu’au final, il n’a pas beaucoup cherché, il aurait eu un passé, une histoire à transmettre à cet enfant qu’il hésite tant à avoir.

«Doppelgänger, le double qui marche, je marche derrière mon double, me demandant qui est le fantôme de qui» (p.266).

Eliane Mazerm
( Mis en ligne le 06/02/2015 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)