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Littératureet Romans & Nouvelles  

Danser les ombres
de Laurent Gaudé
Actes Sud 2015 /  19,80 €- 129.69  ffr. / 249 pages
ISBN : 978-2-330-03971-4
FORMAT : 11,5 cm × 21,7 cm

''cette ville tremblée'' (p.156)

La terre tremble au mitan du récit, la terre danse et démonte la construction opérée par Laurent Gaudé jusque-là, celle d'un lieu et de personnages. Gaudé nous fait aimer Port-au-Prince avant de retourner la ville. Et tout se recompose ensuite.

Lucine suivie du fantôme de sa sœur morte pour avoir trop aimé, et maladroitement, revient dans la cité haïtienne dont elle retrouve le tumulte et les couleurs, les odeurs et les impressions d'autrefois, celles de l'étudiante engagée, qui lui collent à la peau comme la chaleur et la poussière. Saul qu'elle va aimer. Saul, bâtard mal aimé par contre par une marâtre peut-être pas si bougre, Dame Petite, comtesse coloniale dans une des rares demeures qui tiendront droit.

Des personnages et des lieux. La Maison Kenol où vit Dame Petite dans une solitude peuplée d'ombres elle aussi. La Maison Fessou, bordel autrefois flamboyant, devenue comme une maison de retraite, un havre pour gens perdus. Et d'autres figures encore. Peut-être Laurent Gaudé les démultiplie-t-il trop et manque ainsi de s'attarder suffisamment sur chacune. Assez cependant pour poser le drame (n'oublions pas que notre auteur est aussi dramaturge, ce qui, de plus en plus dans sa prose, se ressent) jusqu'à ces 35 secondes dévastatrices.

Ce retour sur le séisme de 2010 rapproche Danser les ombres d'Ouragan où l'écrivain plongeait sa plume dans les eaux troubles de la Louisiane frappée par Katrina. Mais, par le parti pris surnaturel, une encre lardée des superstitions haïtiennes, on pense aussi à La Porte des enfers. Car le tremblement de terre ouvre la ville et fait surgir les ombres éponymes, réveille les démons, les morts et les peurs.

On aime Laurent Gaudé, son style, une plume, un parti pris narratif que n'effraient pas l'emphase ni le tragique. On a donc aimé Danser les ombres. Avec ce petit ''mais'' du lecteur exigeant, pour qui le choix du sujet et de son traitement apparaîtra comme facile, réchauffé, trop attendu peut-être. On se dit que pour de tels horizons, l'auteur devait se donner plus de temps, plus d'espace, s'attarder sur les blessures de ces héros/victimes, l'horreur du cataclysme, celle de ses suites, et les beautés aussi, qu'il déniche toujours dans ces recoins obscurs, ceux humains, ceux de l'Histoire. Il parle ici de la "fraternité des rues" (p.176) et l'on aurait aimé s'attarder plus sur les décombres fumants mais vivants de cette cité tombée dans l'abîme.

Thomas Roman
( Mis en ligne le 09/03/2015 )
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