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Littératureet Romans & Nouvelles  

Quatre par quatre
de Sara Mesa
Rivages 2015 /  22 €- 144.1  ffr. / 313 pages
ISBN : 978-2-7436-3185-7
FORMAT : 13,9 cm × 20,5 cm

Delphine Valentin (Traducteur)

Le collège Wybrany

Quatre par quatre de l’auteur espagnole Sara Mesa nous fait découvrir un étrange collège, le collège Wybrany («choisi», en polonais), perdu au milieu de bois sombres, isolé non loin d’une ville morte, Vado, abandonnée par ses habitants.

En avançant dans le roman, le «coledj» devient de plus en plus mystérieux, renfermant des secrets difficiles à élucider. Aucun panneau n’en indique l’accès, pour décourager les curieux et les journalistes. Même le site Internet de l’établissement ne donne pas d’indication géographique. «Il y a un dessin occulte qui trahit le présent dans le passé. Ce dessin suit les lignes tracées par la peur» (p.23).

C’est un collège parmi les meilleurs du pays, la liste d’attente est longue. Les élèves viennent des familles les plus aisées. A côté, se retrouvent les «spéciaux», fils des employés de l’établissement. Toute l’organisation est fondée sur la séparation de ces deux castes, les fils de riches et les boursiers. Cette ségrégation s’opère aussi par l’absence de mixité : les responsables, dès le début de l’adolescence, inculquent aux élèves la notion de séparation par l’argent et le sexe.

La trame de la première partie se déroule en courts chapitres, chacun offrant un point de vue et des personnages qui viennent compléter le tableau. Ces premiers chapitres nous permettent de nous familiariser avec l’environnement de l’institut. La narration et le style de l’auteur sont en adéquation. Le thème principal de l’enfermement physique et spirituel débouche sur des modèles de personnes corrompues et monstrueuses. Le «coledj» est représenté par une société hiérarchisée, marquée par la ségrégation, le silence et la violence. Les forts profitent des faibles et les plus haut placés ferment les yeux. Grâce aux connotations et sous-entendus, la réalité se détache et s’efface peu à peu de façon inexorable, laissant la place à un curieux environnement angoissant et suffocant.

La seconde partie du roman est le journal de bord du remplaçant d’un professeur de français, Isidro Bedragare, nommé pour un temps indéterminé. Mais qu’est devenu le professeur ? Où a-t-il disparu ? Le remplaçant se retrouve dans un lieu figé, avec des élèves qui le dominent, entouré de personnes qui le snobent ou le scrutent en silence. Isidro essaie de fuir son propre échec, croyant pouvoir redevenir écrivain. En plus d’un lieu hostile et d’étranges relations de pouvoir, il trouve ici une déformation de la normalité. Le chaos est à la fois au-dehors et à l’intérieur de lui-même ; il est enfermé entre quatre murs.

Quatre par quatre est un roman original, fort d’intrigues et de mystères à résoudre, dans lequel l’auteur condamne l’oppression et la violence. Sara Mesa maintient l’ambiguïté, la lourdeur du silence, sans dévoiler le passé des personnages, les actes réels. On ressent le danger sans vraiment le croiser, s'affirment sans cesse les lois tacites des plus forts ; un huis-clos dérangeant, dans un établissement où se renforcent réciproquement le droit des élites et l’abnégation des soumis.

«La confirmation me pèse et ce que je désire désormais, c’est fouiller jusqu’au tréfonds. Je veux tout voir à travers les yeux des autres. Je veux tous les interroger. Je veux comprendre pourquoi ils restent muets. Je veux savoir» (p.228).

Eliane Mazerm
( Mis en ligne le 15/06/2015 )
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