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Littératureet Romans & Nouvelles  

La Poupée de Kafka
de Fabrice Colin
Actes Sud - Domaine français 2016 /  20 €- 131  ffr. / 258 pages
ISBN : 978-2-330-05783-1
FORMAT : 11,5 cm × 21,7 cm

Le grand jeu du mensonge

L’écrivain Kafka aurait abordé en 1923 une petite fille qui pleurait dans le parc de Stegliz à Berlin. Elle avait perdu sa poupée. Pour la rassurer, il lui expliqua qu’elle était partie en voyage. Et, pour rendre son histoire plus crédible, il écrivit les lettres qu’elle aurait envoyées à la petite fille au cours de son périple à l’étranger. Une quantité de lettres aujourd’hui disparues. Mythe ou réalité ? Peu importe. Fabrice Colin dans son nouveau roman n’hésite pas à écrire une suite à cette légende littéraire.

Abel Spieler, l’un des protagonistes, est universitaire à la Sorbonne et spécialiste de l’écrivain praguois. Pessimiste forcené, il ne croit pas au bonheur et s’accroche à la vie au travers des fantômes qu’il côtoie. Obsédé par ses lectures qui lui permettent d’affronter le réel, il rêve de retrouver les lettres de la poupée, et impose tyranniquement sa vision malheureuse du monde à sa femme et à sa fille Julie. Dans la famille, cohabitation rime avec solitude, absence de réelle communication.

Tous les premiers chapitres du roman sont comme autant de tableaux différents de l’enfance et de la jeunesse de Julie. Malgré sa relation difficile avec son père, faite d’incompréhension et de rendez-vous manqués, elle l’aime et affronte elle aussi le poids du quotidien en partant sur les traces de Kafka et de ses écrits inédits : du Quartier latin à Prague, de Prague à Berlin, elle invente sa quête du Graal, qui devient tour à tour obsession, espoir, réconfort. Résoudre ce mystère constitue un cadeau à venir pour son père, et le «symptôme» d’une possible réconciliation. Bientôt, elle retrouve Else Fechtenberg, qui serait la fameuse fillette de la poupée, tant recherchée.

Si dans la première moitié du récit le cadre initial est trop long à s’installer, le roman décolle au moment de cette rencontre. Les deux femmes s’installent à Saint-Gervais au milieu des montagnes enneigées, et Abel ne tarde pas à les y rejoindre. Peu importe les malentendus, les maladresses, les silences : le «grand jeu du mensonge» et de la narration permet de vivre avec ses rêves et de surmonter ses désillusions. Et puis, devant l’immensité de la glace, du vent et du soleil, chacun cesse d’être enfermé dans son secret. Le chalet devient un possible lieu de fiction et d’invention, mais aussi de discussion et de révélation.

Fabrice Colin nous tient en haleine dans un récit qui devient proche du roman policier. L’alternance des focalisations devient plus claire. Les quelques flashbacks en italiques, qui parcouraient le roman et évoquaient le passé d’Else, reprennent tout leur sens et perdent leur caractère décousu : les horreurs du siècle sont abordées avec force et justesse. La fin invite le lecteur à adopter un regard rétrospectif sur le récit, et à le relire à l’aune de l’émotion finale.

Contrairement à la mauvaise impression devant les premières pages tournées, le dénouement face au Mont blanc atteint des sommets.

Julie Malapert
( Mis en ligne le 20/01/2016 )
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