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Littératureet Romans & Nouvelles  

Monsieur Viannet
de Véronique Le Goaziou
La Table Ronde - Vermillon 2018 /  16 €- 104.8  ffr. / 208 pages
ISBN : 978-2-7103-2800-1
FORMAT : 14,0 cm × 20,5 cm

La chute

Un intérieur crade, une seule pièce jaunâtre, enfumée, une grande fenêtre aux carreaux cassés, pas de chauffage, une ampoule nue et blafarde au plafond, un vieux matelas double posé sur le sol qui sert de canapé, deux chaises comme meubles. Nous sommes au cinquième étage d’un vieil immeuble pourri, à deux pas de l’opéra Bastille à Paris. Trois personnages complètent le tableau pour un roman construit comme une pièce de théâtre, huis-clos angoissant sur la misère humaine et les failles de notre société.

Alexandre Viannet survit, allongé ou assis sur son matelas, enchaînant bières et cigarettes. La télévision lui renvoie des images d’un monde qu’il ne connaîtra jamais, accentuant l’impression de misère de ce taudis. Il ne sort plus, pratiquement grabataire : sortir, pour aller où, sans argent, sans ami ? Il a fait une vingtaine de séjours en prison pour des braquages, de la petite délinquance. Il a même tué son père, homme violent avec toute la famille, mais il a été acquitté faute de preuves. L’action sociale lui a retiré ses enfants qu’il ne peut voir que deux heures par mois en présence d’un tiers. Il a renoncé à ces visites ; qu’a-t-il à leur offrir, quel exemple est-il pour eux ? Il est conscient de sa déchéance et, résigné, ne se fait aucune illusion sur rien. La cinquantaine fatiguée, abîmé par l’alcool et le tabac, il survit avec sa femme, belle Algérienne aux cheveux longs, qui détonne dans cet environnement.

La narratrice est chargée par un centre de réinsertion sociale d’évaluer ce que deviennent les anciens résidents dont Monsieur Viannet fait partie. Au fil de ses questions, elle se laisse happer par le désespoir radical du personnage, malgré sa rigueur professionnelle. Elle se laisse petit à petit déborder par ses émotions et se rend bien compte que sa déchéance a ôté à Alexandre toute envie d’acquérir une vie «normale» qu’il n’a jamais connue. «Des journées à ne rien dire… Sa femme à son côté. Bières et dessins animés. Avant l’alcool et la cigarette c’est la folie qui va les tuer». Il appartient à la frange des laissés pour compte de la société, ceux qu’on dit irrécupérables, invisibles, car il n’ont pas de solution pour ne pas rechuter ; il n’a côtoyé que des pauvres, des immigrés (et le problème est de plus en plus aigu), des exclus. Quel espoir pour lui ?

Le récit se déroule sur trois visites de l’enquêtrice, en octobre, novembre et trois jours avant Noël, ce qui rend l’atmosphère encore plus pathétique. Pourquoi et comment porter le fardeau de cette vie ? La narratrice se rend compte du ridicule et du décalage posé par ses questions, tout à fait inutiles ; elles appartiennent au système par lequel sont tombés ces gens-là. «Demander, demander, demander… Faut supporter de toujours demander».

Véronique Le Goaziou, sociologue, accuse les sociétés modernes, sans solidarité, impitoyables, d’accentuer la différence entre les riches et les pauvres. Des dialogues qui frisent parfois l’absurde le sous­-entendent. Un roman dur et réaliste, nécessaire.

Eliane Mazerm
( Mis en ligne le 27/08/2018 )
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