L'actualité du livre
Littératureet Romans & Nouvelles  

Le Général a disparu
de Georges-Marc Benamou
Grasset 2019 /  19 €- 124.45  ffr. / 240 pages
ISBN : 978-2-246-81789-5
FORMAT : 14,0 cm × 20,5 cm

Varennes ?...

29 mai 1968... «C’est une révolution ? oui, sire !». On est à l’Elysée, mais un Elysée bunkerisé, qui attend dans l’angoisse l’immense manifestation prévue le lendemain, une manifestation unitaire de la gauche qui débouchera, c’est évident, sur une révolution, la prise du palais présidentiel, le jugement expéditif de son illustre locataire - Mongénéral en personne - et son lynchage devant une foule de gauchistes et de cadres supérieurs discrètement coordonnés par le PCF. Voilà, résumé, l’état d’esprit du général de Gaulle en cette veille de manif, et ce n’est pas auprès de ses fidèles grognards qu’il trouve un espoir, ni même avec son premier ministre, le trop habile Mr. Pompidou.

Que faire alors ? Préparer la résistance et un nouveau 18 juin ? Préparer la reconquête militaire du pays en partant de Strasbourg ? Abandonner les veaux à la révolution triomphante ? Partir peut-être, fuir et vivre une autre vie, paisible, loin des tumultes, accepter enfin le verdict de la France qui, décidément, n’en peut plus de la Grandeur ? Ce sera donc la fuite, Tante Yvonne n’en peut plus de cette vie-là. Objectif immédiat : Baden-Baden et une nuit chez le général Massu et sa délicieuse Toto. Entre-temps, la France se réveille, Pompidou s’interroge et s’organise, Mitterrand complote et cherche à manipuler Mendès France, Monnerville depuis le Sénat médite et rêve...

Taillé comme un drame classique (unité de temps, d’action et quasiment de lieu), ce roman (comment définir exactement ce texte qui brode autour d’un épisode célèbre autant que mystérieux ? Une sotie peut-être ?) est un petit bijou de drôlerie, qui alterne la parodie gaullienne, le thriller politique, le drame intime et le journal. Explorant d’une plume vive cet épisode étrange de mai 68, Georges Marc Benamou a choisi, après Mitterrand et Rocard, d’envisager un autre animal politique, sans doute l’un des plus mythiques, le général de Gaulle (mais également Pompidou, en machiavellien tranquille), qui oscille entre colère et naufrage, entre paranoïa aiguë et lucidité sombre. Écrit avec une jolie maîtrise et un art consommé du dialogue, ce roman est d’autant plus drôle qu’il reflète les questionnements de décembre 2018, la question de l’émeute, du maintien de l’ordre, de l’état d’urgence et de la ligne jaune qu’on est prêt ou non à franchir. Jusque dans les ambitions des uns et des autres, opposants officiels et collaborateurs dévoués (mais impatients), il sonne juste.

Georges Marc Benamou fait à nouveau la démonstration de son talent d’écriture et d’un sens aigu du drame historique et politique. En esquissant un De Gaulle introspectif, roué, désemparé, manipulateur et égaré, il réussit, et même au-delà, à rendre l’affolement du pouvoir. «Si ce n’est pas vrai, c’est bien trouvé» : que dire de mieux de cet ouvrage qui ravira les amateurs d’histoire comme ceux de littérature, porté par une plume allègre et inspirée ?

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 30/08/2019 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)