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Littératureet Romans & Nouvelles  

Platines
de Julien Decoin
Seuil - Fiction et cie 2019 /  18 €- 117.9  ffr. / 234 pages
ISBN : 978-2-02-140441-8
FORMAT : 14,0 cm × 20,0 cm

Roman rock

Un soir, de retour de Paris, avant de retrouver son couvent, acheté depuis longtemps et dans lequel il vit seul, Jean, écrivain âgé, boit un verre dans le bar-PMU en face de la gare. Il est captivé par la chanteuse d’un groupe de rock se produisant sur une petite scène. Toute sa jeunesse lui revient alors en mémoire. Marie est blonde, un rouge à lèvres aguichant, et boit de la bière à la bouteille. Ce n’est pas son talent qui le frappe mais son allure délurée, sa sensualité, ses cheveux blonds qui lui rappellent une autre femme de sa jeunesse : Platine, rock-star déjantée du New-York underground, un tempérament de feu qu’il n’a jamais oublié, avec qui il a eu une aventure torride mais courte, alors qu’il était une jeune romancier en quête de sensations fortes, et elle un papillon frivole.

C’était Debbie Harry, la chanteuse du groupe Blondie : «blonde platine, frange rigoureuse, la bouche en cœur rouge ourlé, marcel blanc sans rien dessous sauf ses petits seins, les épaules luisantes de sueur et une odeur de bière, de sexe et de cigarette qui s’échappe de son corps frêle et sensuel». Cette fille sublime hante tout le roman alors que Jean essaie de retrouver ses sensations et ses émotions en écrivant un livre sur Marie, pâle copie de la rockeuse, mais une femme accessible, et qui va redonner un sens à sa vie. A travers Marie, Jean revoit Platine.

Dans sa jeunesse, il avait déjà écrit un récit sur la star, livre qui lui avait valu le prix Goncourt et permis de revoir sa blonde pour l’adaptation au cinéma, film dans lequel elle jouait son propre rôle (quoique très souvent doublée). Mais elle se lassa vite de cet amour, passant d’homme en homme ; Jean ne restera qu’une brève parenthèse dans cette longue lignée de relations débridées. Il ne s’en remettra jamais vraiment. A présent, les deux femmes se confondent.

Julien Decoin joue dans ce roman avec le mythe de Pygmalion. Fort de son expérience, Jean promet à Marie de lui écrire une chanson. Toute une partie intitulée «Le film» propose aussi une réflexion sur l’image, celle que l’on a de soi, celle du personnage public, l’icône que les médias fabriquent et que les fans consomment, celle que l’œuvre suggère, celle que la postérité gardera et surtout celle que l’on aimerait incarner. Quarante ans après avoir tourné le film, Jean le visionne sur VHS et se dit : «Peut-être que Platine ne doit pas sa carrière à son seul talent. Platine doit son succès à ce qu’elle a su inspirer aux gens qui l’ont regardée». Lui aussi a été séduit par l’image sulfureuse de la star.

L’écriture de ce roman-rock porte le récit, elle colle à son sujet. Comme le rock, elle est simple, efficace, parfois sarcastique, toujours élégante. Dans ces deux romances gigognes, l’auteur a su préserver une spontanéité de ton qui rend crédibles les personnages et les situations les plus romanesques, avec une distance amusée par rapport à son sujet.

Eliane Mazerm
( Mis en ligne le 18/09/2019 )
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