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Littératureet Romans & Nouvelles  

Le Coeur de l'Angleterre
de Jonathan Coe
Gallimard - Folio 2021 /  9,20 €- 60.26  ffr. / 598 pages
FORMAT : 11,0 cm × 18,0 cm

Première publication française en août 2019 (Gallimard - Du Monde Entier)

Josée Kamoun (Traducteur)


Big Ben et les siens

Seul Jonathan Coe pouvait brosser le portrait de l'Angleterre du Brexit. Mission accomplie. Haut la matin.

Entre 2012 et 2018, l'écrivain britannique déroule en prés de 600 pages une fresque humaine et politique, et retourne pour ce faire à son alter-ego fictionnel, Ben Trotter (que l'on avait rencontré dans Bienvenue au club et Le Cercle fermé). Un Ben senior, quasiment retraité, retiré en tout cas dans son moulin des bords de la Savern, où il met quelques touches finales à son roman... qui sera un grand succès, inespéré : la mise en fiction de son idylle adolescente avec Cecily, et un projet de fresque politique que tous lui conseilleront d'écrémer.

Autour de Ben : sa nièce Sophie, jeune docteure en histoire de l'art, qui épouse Ian, s'amourache pour l'Américain Adam, est placardisée pour avoir commis sur une étudiante transsexuelle un propos relevant de ce que l'on appelle à présent "micro-agression". Son père Colin qui ne comprend pas l'Angleterre de la désindustrialisation. Sa soeur Lois. L'ami Doug, journaliste, tente de comprendre les logiques et dynamiques politiciennes londoniennes. Nous sommes dans l'Angleterre de David Cameron, Boris Johnson et Theresa May. La faute à qui, cette descente aux enfers populistes ? D'obscurs think tanks ultra-libéraux ? Thatcher ? La Reine ?...

Les Jeux Olympiques, occasion d'un passage lyrique qui enflamme le roman, sonnent comme une sorte de chant du cygne pour une Angleterre qui avancera dès lors comme une volaille décapitée. Et le brixit rebaptisé brexit de grimper dans l'opinion... et gagner, d'un cheveu. ''C'est ce que j'appelle l'indécision radicale ; c'est le nouvel esprit du temps''.

Ben et les siens sont les acteurs, observateurs et victimes d'une histoire signant non pas la mort des idéologies comme on l'aurait cru, mais leur lente agonie. Des idéologies comme des naines blanches, étoiles mourantes mais à la brillance aveuglante et augmentée par leur propre consumation : le libéralisme, le racisme, l'hyper-correction politique d'une gauche progressiste elle-même aveuglée et sans boussole... Des individus touchants car pathétiques, dans un climat politique relevant, lui, de la pathologie collective.

Jonathan Coe dit tout cela dans ce saisissant roman-monde : les trajectoires de chacun des personnages se croisent et s'entrecroisent au long d'une fresque en forme de bateau ivre. Magistral, prenant, édifiant. Inquiétant. Inquiétant ? Quelques notes d'espoir, qu'incarnent Ben, Sophie et d'autres, cousues, certes, à un épais ruban de nostalgie, ponctuent ce récit dur et juste : la force de la pensée et des idées, la beauté des métissages, la nécessité de la littérature.

Thomas Roman
( Mis en ligne le 26/04/2021 )
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