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Littératureet Romans & Nouvelles  

La Laitière de Bangalore
de Shoba Narayan
Mercure de France - Bibliothèque étrangère 2020 /  23,80 €- 155.89  ffr. / 299 pages
ISBN : 978-2-7152-5396-4
FORMAT : 14,0 cm × 20,5 cm

Johanna Blayac (Traducteur)

Thérapie bovine

Shoba Narayan est indienne, née à Bangalore… mais elle a émigré voilà longtemps à New York où, avec son mari (également indien), elle a eu deux enfants. Aisé, heureux professionnellement et conjugalement, le couple aurait pu se couler dans la vie américaine mais il décide au contraire de revenir aux racines et de partir s’installer à Bangalore.

Retour aux sources pour Shoba, qui, tout indienne qu’elle soit, s’est plutôt bien américanisée. Et dans son cas, les retrouvailles avec l’identité indienne passent par Sarala, qui lui vend son lait tous les matins, et qui va l’initier à un culte national en Inde, celui des vaches. Car pour Sarala, la vie est plus compliquée : elle dépend de ses vaches pour nourrir sa famille et vient, chaque matin, les traire et vendre son lait. Les deux femmes commencent par s’apprivoiser et vont bientôt se retrouver autour d’un projet, l’achat d’une vache et tout ce que cela suppose de difficultés.

Mais avant cela, Sarala va faire redécouvrir à Shoba l’importance centrale de la vache dans la culture indienne, une vache qui symbolise beaucoup de bienfaits, qui prête sa physionomie à quelques divinités, une vache dont toutes les productions (toutes toutes toutes) sont objets de convoitise, sources de bienfaits. Au passage, le lecteur sera initié à la médecine ayurvédique, au système des castes, à la diversité des races bovines locales et de leur lait, à la cosmogonie hindoue, à la sociabilité des rues et à la survie économique. En suivant Shoba dans son apprentissage des multiples usages de la vache, c’est à un immense voyage au cœur de la réalité indienne que l’on est convié.

Qu’il est beau, ce roman/essai/journal/récit ethnologique. Shoba Narayan, journaliste de profession, joue à fond la carte du contraste entre son identité américaine et sa vie indienne, une carte gentiment humoristique dans laquelle l’auteur se présente en Candide découvrant la vie de son nouveau chez soi. A peine arrivée dans son nouvel appartement bangalorais, elle est confrontée à la complexité des relations sociales et au rôle majeur des vaches dans les rituels d’installation. Et tout cela continue, avec un humour et une tendresse constante. On pourrait craindre une posture parfois surplombante, celle de la femme aisée et éduquée observant les pauvres et leurs croyances… Bien au contraire, Shoba Narayan, sans prétention, note, observe, s’enthousiasme, découvre, et nous emmène dans une Inde inconnue qu’elle épouse avec conviction.

Son Inde, c’est celle du petit peuple des villes, celle du quotidien et des croyances locales, c’est un monde étonnant qui se déploie, avec ses codes et ses rituels ; il y a une dimension ethnologique indéniable. L’auteur est tout à la fois sensible à la culture populaire et attentive aux mythes, elle s’éduque (et nous éduque) aux relations sociales indiennes et aux enjeux de castes et de générations. Joliment écrit et traduit, cet ouvrage se dévore ou plutôt se boit comme du petit lait, c’est un plongeon dans un quotidien aussi exotique que singulier, une pépite qui comblera tout amateur d’exotisme, que l’Inde intéresse. Loin des maharadjas et de ''Slumdog millionnaire'', un voyage éblouissant dans la vie quotidienne d'un pays tout à fait méconnu.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 23/03/2020 )
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