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Littératureet Romans & Nouvelles  

Labyrinthe
de Burhan Sönmez
Gallimard - Du Monde Entier 2020 /  20 €- 131  ffr. / 224 pages
ISBN : 978-2-07-283834-7
FORMAT : 14,0 cm × 20,5 cm

Julien Lapeyre de Cabanes (Traducteur)

Déambulations

Burhan Sönmez (né en 1965 en Anatolie), kurde écrivant en turc, a mené une longue carrière d’avocat spécialiste des droits de l’Homme. Son premier roman, Maudit soit l’espoir, se passait à Istanbul, récits entremêlés de quatre prisonniers enfermés dans un cachot souterrain. Labyrinthe se déroule en plein air, dans le même décor d’Istanbul, la ville «où la joie rencontre le chagrin». Le héros, Boratine, est tout aussi enfermé et cherche à trouver une issue en déambulant dans la ville, accompagné d’amis compatissants. Le récit est mené tantôt par Boratine, tantôt par un narrateur extérieur à l’identité inconnue.

Le lecteur apprend très vite que Boratine, jeune chanteur de blues à succès, s’est jeté un soir du pont du Bosphore, pour une raison inconnue. Sauvé, avec de légères fractures, il est désormais amnésique et erre dans son appartement, dans les soirées entre amis, dans la ville accueillante, perdu face aux miroirs, face à lui-même qu’il ne reconnait plus. Un appartement au décor hétéroclite, qu’il a loué à une vieille dame, qui a laissé quelques objets dont une piéta, inattendue ici. De sa vie antérieure pourtant, Boratine connait de multiples détails que ses amis attentionnés lui racontent ; il se trouve dans une situation paradoxale : celle d’un homme qui connait tout de lui-même par des récits abondants et qui cependant ne sait rien de ce qu’il est, ne se reconnait pas devant les miroirs, celui de l’appartement, ceux que lui tendent ses proches, témoins de sa vie antérieure.

Comment se déroule dans ces conditions la vie ? Quel témoin rare lui donnera le fil essentiel pour renouer avec son existence ? Une soeur aimante qui vit au loin ? Mais comment l’atteindre ? Les instruments de communication sont défaillants : le téléphone peu fiable, la vieille gare désaffectée… Boratine erre dans une brume qu’il fait partager aux lecteurs, alternant la précision de certains moments et le flou d’une mémoire infidèle. Peut-on vivre sans passé ? Le passé est-il utile, et à quoi ?

Un récit lent, envoûtant, au rythme de l’errance quasi somnambulique du héros, sans fin… Un récit aux allures de conte fantastique, que les citations en exergue placent sous le parrainage du grand auteur argentin Borgès : «Il suffit de deux miroirs opposés pour construire un labyrinthe» (J.-L. Borgès, Sept nuits). «L’homme ne découvre pas le verbe, c’est le verbe qui vient à lui» (Éloge funèbre du père de Montmollin à l’enterrement de J.-L. Borgès).

Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 27/05/2020 )
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