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Littératureet Romans & Nouvelles  

Les Femmes de
de Caterina Bonvicini
Gallimard - Du Monde Entier 2020 /  19 €- 124.45  ffr. / 224 pages
ISBN : 978-2-07-279151-2
FORMAT : 14,0 cm × 20,5 cm

Lise Caillat (Traducteur)

7 femmes et… un absent

Caterina Bonvicini (née à Florence en 1974) est romancière et auteur jeunesse. Les Femmes de est un joli roman choral qui se passe à Milan et fait entendre les voix de l’entourage féminin du mystérieux Vittorio, romancier sans lecteur, à la gloire passée. Toutes l’attendent pour le dîner de Noël, dîner auquel il ne se rend pas, se contentant de prévenir par SMS sa mère de son absence. Une disparition énigmatique, qui entraîne les réflexions de toutes les femmes de sa vie, réflexions qui se croisent, se bousculent… Autant de monologues intérieurs sur quelques mois, de décembre à l’été.

Caterina Bonvicini porte sur ces femmes un regard aigu et complice : «La mémoire des hommes est plus brève, ils règlent les histoires plus vite. Les femmes, non, plutôt que d’oublier un lointain petit détail qui les a blessées, elles restent empêtrées dans les fissures du monde tels des plongeurs dans un filet, au risque de ne plus jamais respirer».

Lucrezia (89 ans), designer internationale à la carrière brillante, observe sans indulgence sa fille et ses deux belles-filles s’agiter. Pour elle, l’indépendante, comptent essentiellement les plaisirs qu’elle peut encore arracher à la vie, moments d’évasion heureux conquis sur la surveillance angoissée de sa fille. Francesca, la fille (57 ans), est professeur de psychologie, et le lecteur se demande comment elle a réussi dans ce domaine tant elle en semble dépourvue au quotidien, incapable d’une quelconque empathie avec qui que ce soit.

Deux épouses successives : Ada (61 ans), l’ex, à la carrière réussie de journaliste féministe et qui vit entre Milan et Paris, est persuadée d’être restée la seule amie de Vittorio, la confidente préférée ; Cristina (46 ans), l’épouse en titre, castratrice, insupportable, dont on comprend que Vittorio ait fui l’emprise insupportable… Deux filles, Paoletta (33 ans) et Giulia (16 ans), désirées ni l’une ni l’autre, observatrices lucides du champ de bataille autour de leur père, champ de bataille qui s’apaise enfin lorsque le héros central disparait. Deux filles, séparées par une demie génération, animées de goûts et de préoccupations bien éloignées de celles de leurs mères. Ombre fragile, la jeune Camilla (26 ans) fait figure de maîtresse et est surtout - au contraire des autres - incapable de prendre en main son destin…

Les courts chapitres se succèdent, donnant la parole à chacune, étoffant les silhouettes, dessinant des personnalités construites face à Vittorio. L'absence de ce dernier permet de remanier les cartes, de revoir les positions des unes et des autres, d’aplanir les conflit antérieurs : plus d’homme à se disputer, un vide à combler, des connivences à établir… Sauront-elles, ces héroïnes, se dégager «des fissures du monde» dans lesquelles elles sont empêtrées ? Pourront-elles conquérir leur indépendance offerte à la faveur de la disparition de Vittorio ?

La fin, assez inattendue, leur en offre sans doute l’occasion… Caterina Bonvicini pose avec subtilité, par petites touches, la question de l’affirmation de la personnalité des unes et des autres, du choix d’une vie désirée et non subie, des inégalités de caractère. Un état des lieux de la condition féminine, au féminin…

Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 07/09/2020 )
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